Le problème de la modernité

Mais les deux chartes sont nées d'une nécessité créée par l'époque moderne, celle de reconstruire un monde en crise, comme le dit la charte de 1932. Comment se fait-il que le même constat de chaos ait donné naissance à de telles divergences ? Comment résoudre le problème de la "modernité" ? Une voix un peu différente des autres, celle du Professeur Codignola333, apporte sa réponse. Il faut pour résoudre le problème de la modernité dépasser ses apparences matérialistes, et plutôt tenter de déterminer ce à quoi elle tient, la foi qui l'anime, et qui est une foi ‘« dans l'essentielle originalité créatrice »’, dans ‘« l'autonomie absolue de l'esprit humain »’ 334. Cette autonomie-là implique la liberté. Au contraire, la culture unique, celle de l'objectivisme scientifique qui mènerait vers la liberté, est un leurre. Il faut préférer la position subjectiviste de l'humanisme nouveau, car la seule universalité, c'est la personne. Et l'Education nouvelle bien souvent se berce d'illusions quand elle croit que c'est uniquement affaire de méthodes et de moyens. C'est une question d'esprit nouveau que le maître a la charge de transmettre, car paradoxalement ‘« la plus grande universalité coïncide avec la personnalité la plus déterminée »’ 335. Une modernité à inventer.

Devant un monde en crise, les pédagogues réunis à Nice s'accordent sur la nécessité pour l'humanité de réagir, elle ne peut plus se contenter de penser un monde "nouveau", il lui faut agir concrètement, le reconstruire matériellement. L'éducation sera la "première pierre" dans ce nouvel "édifice", le moyen de cette reconstruction. C'est ainsi toute la question de l'éducation qui se trouve posée : quel sens donner à l'école dans ce monde en crise ? Quel est le but de l'éducation ? Cela a provoqué la rédaction d'une nouvelle charte par laquelle la Ligue se fixe un objectif très précis : ‘« En vingt ans, l'éducation pourrait transformer l'ordre social... »’. Ce monde nouveau, cette nouvelle société seront ceux de la solidarité. Mais les pédagogues se divisent sur les moyens de réaliser cette construction par l'éducation et sur la conception de cette nouvelle société. Ils hésitent entre la production d'une meilleure société en posant une nouvelle culture, et le refus de dessiner trop précisément les contours d'une société future par le choix "a priori" d'une culture idéale. L'enjeu ultime de tous ces débats demeure la liberté de l'enfant. Comment la réaliser ? Par une adaptation sociale ou par le respect de son développement personnel ? Telle sera la question centrale du futur congrès de Cheltenham.

Notes
333.

Pédagogue réformateur italien, qui favorisa l'accentuation politique et nationaliste de la revue d'éducation nouvelle italienne, La nostra scuola.

334.

« Comment créer une culture propre à l'époque moderne », P.E.N., n°81, octobre 1932, p. 252.

335.

Id., p. 256.