Liberté par la religion

Selon Bovet, à la question « la religion peut-elle libérer ? », les réponses se contredisent selon qu'on adopte le point de vue des sociologues ou celui des psychologues. Suivant les premiers comme Durkheim, elle est contrainte sociale, pour les autres comme James, elle est au contraire libératrice. Bovet partage ce dernier point de vue. Pour lui, l'expérience religieuse trouve son origine dans le sentiment, d'abord sentiment de crainte pour Dieu, il peut se transformer et grandir en sentiment d'amour. Voilà pourquoi la religion est bonne. Un sentiment d'amour libère les individualités : ‘« nous savons bien qu'une passion qui enflamme un coeur d'homme est un puissant agent de liberté »’ 349. C'est un fait que les psychologues ont étudié et prouvé. Si les sociologues démontrent le contraire, c'est qu'ils ne tiennent pas compte de la dimension individuelle et que les sociétés actuelles ne sont pas encore parvenues à l'état de société « ouverte », selon la conception de Bergson. Mais attention, prévient Bovet, l'éducation religieuse risque en permanence d'être facteur d'asservissement parce qu'elle ne repose pas sur l'activité de l'enfant comme tous les autres domaines de l'éducation, mais qu'elle s'opère dans une « sorte de contagion »350 de l'adulte vers l'enfant. La solution au problème de la liberté est-elle dans l'éducation religieuse ? Bovet répondra qu'elle se trouve plutôt dans la religion. Mais il demeure que dans la conception de Bovet la religion n'atteint le niveau "idéal" que chez certaines personnalités supérieures, ce qui peut conduire à se demander si la liberté ne serait pas réservée à une élite...

A la question de savoir si la religion libère ou asservit, Katzaroff, comme Bovet, pense que cela dépend de notre conception de la religion. A la racine du sentiment religieux, il voit une tendance instinctive et spontanée vers la perfection. La religion, ‘« un ensemble de sentiments, de pensées, d'attitudes vis-à-vis de la vie qui nous fait admettre l'existence de quelque chose d'infiniment plus parfait que nous »’ 351, participe de cette tendance naturelle. La religion libère parce qu'elle est une réponse à l'appel de notre nature spirituelle, et qu'elle conduit à reconnaître « la suprématie de l'esprit ». La religion nous libère de l'obéissance aux lois humaines toujours imparfaites, mais elle rapproche de nos semblables par la force de l'esprit d'amour et de sagesse qu'elle répand, et elle permet d'élaborer la plus haute morale possible. Autant l'intervention de Bovet se voulait scientifique et fondée sur les faits que celle de Katzaroff paraît "idéaliste", il réaffirme ce que la première charte soutenait : l'esprit comme seul et véritable idéal humain.

On peut se demander comment fut reçue cette intervention par l'ensemble des congressistes, la réponse réside peut-être dans les allocutions de Wallon ou Washburne dont les conceptions de la liberté sont plus pragmatistes.

Notes
349.

« L'éducation religieuse, facteur d'asservissement ou de libération », P.E.N., n°122, novembre 1936, p. 261.

350.

« La religion, facteur de libération », in A la recherche de la liberté, op. cit., p. 67.

351.

« L'éducation religieuse facteur d'asservissement ou de liberté », P.E.N., n°122, novembre 1936, p. 264.