Le problème de l'éducation morale

Il y a donc au fil des congrès successifs une évolution dans la division. Cependant, le consensus de départ n'explose pas mais se dissout. A la racine de cette dissolution : peut-être le refus de déterminer une éducation en relation avec un projet social clair.

D'une façon générale, le problème de l'éducation morale semble s'être déplacé. Il s'agit moins à présent de déterminer les moyens d'une éducation morale, de choisir les bonnes conditions de sa réalisation que de savoir s'il peut y avoir ou non éducation morale. Dans la pensée de Wallon, la notion de naturalisme, sur laquelle reposent les conceptions d'une éducation morale dans l'Education nouvelle, est révélatrice de ce déplacement. Wallon fait de l'enfant, être primitif et "de nature", un être "naturellement" social, à vocation sociale. Ce qui était un moyen d'éducation morale devient une réalité originelle et naturelle.

En 1952, dressant le bilan de trente années d'existence du G.F.E.N., Wallon critiquera ouvertement les systèmes pédagogiques des fondateurs de l'Education nouvelle, tels ceux de Montessori et de Decroly, soutenant qu' ‘« ils perdent vite le contact avec cette double réalité, la nature propre de l'enfant et le milieu où il se développe, qui sont les deux pôles que l'éducation doit joindre. En particulier leur souci de respecter la nature de l'enfant les pousse trop souvent à isoler l'école du milieu »’ 402. Ce que fait ici Wallon est plus que critiquer des méthodes, il inaugure un renversement complet du spontanéisme fondateur du mouvement. ‘« Croire à la spontanéité de l'enfant comme à une source pure qu'il faudrait se garder de polluer par quelque intervention étrangère, est un point de vue chimérique et qui prive l'éducateur de ses moyens essentiels : aménager l'ambiance la plus favorable »’ 403. Dès lors, il s'agit pour chaque enfant, non plus de "se trouver", mais de "trouver sa place". Il n'apparaît plus déterminé par ce qu'il est en lui, mais par ce qu'il doit devenir.

Ce renversement historique de la conception de l'éducation morale dans la Ligue est en réalité le reflet d'un glissement de l'orientation pédagogique de l'Education nouvelle dans son ensemble, qui manifeste une appréhension différente de l'enfant, de sa nature. Cette division renvoie également à une discorde plus profonde sur le sens de l'éducation qui s'installe et fera éclater le mouvement. A l'origine l'Education nouvelle a essentiellement en vue le développement de l'enfant, et petit à petit, elle s'oriente vers un projet de reconstruction sociale.

D

Notes
402.

« 30ème anniversaire du G.F.E.N. », P.E.N., n°10, janvier-février-mars 1952, p. 4.

403.

Id., p. 6.