Deuxième partie
Des fondements contradictoires pour l'éducation morale

Toute l'histoire de la Ligue, au fil de ses congrès, est venue confirmer qu'il n'y avait pas unité mais pluralité de conceptions de l'éducation morale dans l'Education nouvelle. La désunion des pédagogues nouveaux était inévitable, elle supplantait même leur invocation permanente à l'unisson pédagogique... Nous avons pu le constater, ces oppositions commencèrent à se manifester très ouvertement à partir du congrès de Nice. Mais elles existaient cependant dès l'origine à l'état embryonnaire, dès l'instant où l'Education nouvelle tentait de rassembler dans un même mouvement des partisans de la science psychologique et du développement personnel de l'enfant, avec des défenseurs d'une reconstruction sociale par l'éducation. D'une formule simplificatrice, on pourrait dire que cette difficile réunion a provoqué l'affrontement du psychologisme, contre une certaine forme de sociologisme.

Selon notre hypothèse initiale, l'idée que les tenants de l'Education nouvelle élaborent sur l'enfant, sur sa nature, agit dans le sens de cette division. En effet, des appréhensions différentes de la nature de l'enfant, renforcées par la pluralité de leurs positions scientifiques, n'obligeaient-elles pas les pédagogues nouveaux à concevoir l'éducation morale diversement ? Les psychopédagogues de l'Education nouvelle convaincus de la nécessité de laisser se faire la croissance de l'enfant ou d'y aider seront les promoteurs d'une pédagogie du développement moral, comme ils sont les adeptes du développement personnel de l'enfant. Les pédagogues sociaux auront plus à coeur de penser l'enfant dans son milieu social, de le faire participer à la construction ou la reconstruction du monde, de favoriser une éducation sociale comme base de la moralité. Enfin, une conception divine de la nature enfantine fera reposer l'éducation morale sur un sentiment religieux comme appel de l'homme vers sa moralité.

Il reste qu'un fondement psychologique entre forcément en contradiction avec un fondement sociologique ou religieux. Il se crée alors autour de la question morale un problème de présupposé qui ne se résout pas dans la définition de la nature de l'enfant, socle fédérateur sur lequel sont bâties toutes les pédagogies nouvelles. L'objet de cette seconde partie sera de faire apparaître de manière explicite cette triple orientation théorique de l'Education nouvelle qui explique les divergences de positions sur l'éducation morale : psychologique, sociologique ou religieuse.

Mais ce triple fondement posé, il apparaît indispensable de l'analyser de manière plus systématique. Il faudra donc le questionner sur les présupposés qu'il recouvre, sur les réponses apportées par les trois positions principales, et sur leurs limites. Autrement dit : sur quelles bases reposent les diverses orientations de l'Education nouvelle, en quoi ces présupposés induisent-ils des conceptions particulières de l'éducation morale, et quelles sont les limites de ces conceptions en regard des points de désaccord soulevés par les tenants des positions adverses. Telles sont, en résumé, les interrogations qui guideront cette seconde partie.

Cette analyse requiert une nouvelle approche des textes sélectionnés, mais en la concentrant sur les pédagogues représentatifs des trois positions retenues : psychologique, sociale et religieuse. A ce point de notre étude, le corpus des textes, essentiellement constitué des communications aux congrès, tous prélevés dans la revue Pour l'ère nouvelle, se trouvera logiquement enrichi des études et ouvrages plus élaborés des tenants de telle ou telle position, et éventuellement de leurs interventions dans les congrès internationaux d'éducation morale.