Une vocation scientifique

Ainsi, Mrs Béatrice Ensor dira en 1921 au congrès de Calais que, si son thème a été traité du double point de vue, psychologique et philosophique, c'est dans la perspective de leur application dans les écoles405. Dix-huit années plus tard, Ferrière se fera l'écho de cette déclaration initiale en écrivant dans Pour l'ère nouvelle : ‘« Il conviendrait de faire coïncider une bonne fois "psychologie génétique" et "éducation nouvelle", aspects théorique et pratique d'une même discipline scientifique, technique et application d'un même art ! »’ 406 Pourquoi cette confiance en la science ? Sans doute la conviction pour ces chercheurs inlassables de vérité, plongés dans une époque de scientisme, que seule la science est à même de leur donner la vérité qu'ils recherchent tant sur l'enfant, que seule une école scientifiquement établie pourra éviter les erreurs de l'école traditionnelle. D'ailleurs, les premières écoles nouvelles étaient considérées comme des laboratoires pour l'Education nouvelle : ‘« La première caractéristique des écoles nouvelles est d'être des laboratoires d'éducation. Elles ne sont pas des modèles de ce que sera l'école de l'avenir, mais des laboratoires d'expériences »’ 407. Il est nécessaire pour l'Education nouvelle, si elle se veut scientifique, de ne pas se contenter de réalisations plus ou moins originales, plus ou moins réussies, de se détacher du simple empirisme et de permettre l'observation scientifique : ‘« Ces observations ne concernent pas tant les programmes et les méthodes que la psychologie elle-même. Et partout où de bons psychologues se sont trouvés à la tête de ce genre d'écoles, il leur a été possible de préciser des lois et ces lois indiquent quelles réformes il est bon d'instituer »’ 408. Voilà qui est clairement établi : il faut des écoles destinées à l'observation scientifique de la nature enfantine pour pouvoir en déduire les lois psychologiques de son développement qui commanderont toute l'activité pédagogique.

Etre un laboratoire de pédagogie pratique est assurément une condition essentielle dans la liste en trente points élaborée en 1912 par Ferrière pour qu'une école puisse se prévaloir de l'appellation « Ecole nouvelle ». Cependant, comme le signale Daniel Hameline, lorsque Ferrière parle de « laboratoire », il s'agit en réalité d'une métaphore, il faut donc éviter d'y voir ‘« le sanctuaire abrité d'une science (...). Sa célébration constante de "la science" ne peut, sur ce point, tromper. Les acquis des sciences, quand il évoque en termes de patientes recherches statistiques, ont, dans son oeuvre, une fonction de référant culturel et mental, voire d'invocation à quelque chose qui lui demeure en définitive assez étranger. Sa pratique est ailleurs »’ 409. Comment ne pas être tenté d'élargir cette remarque à la plupart des partisans de l'Education nouvelle ? Si leur préoccupation scientifique demeure entendue, ils n'en oublient pas moins qu'ils sont pédagogues avant même de se vouloir des scientifiques de l'enfance. La science apparaît être bien plus un moyen d'étendre "l'esprit" de l'Education nouvelle à toutes les écoles qu'un but de connaissance en soi.

Notes
405.

« The subject has been treated from the psychological and philosophical points of view and from the strandpoint of pratical application in divers types of schools » (« The schools of to-morrow », congrès de Calais, in The creative self-expression of the child, London, New Education Fellowship, 1922, p. 184).

406.

« L'éducation nouvelle traverse-t-elle une crise ? », P.E.N., n°148, juillet 1939, p. 164.

407.

A. Ferrière, « Les écoles nouvelles à la campagne », congrès de Calais, The creative self-expression of the child, op. cit., p. 107.

408.

A. Ferrière, id., p. 108.

409.

« Adolphe Ferrière, praticien en quête d'une reconnaissance sociale », Autour d'Adolphe Ferrière et de l'Education nouvelle (sous la direction de D. Hameline), Genève, Cahiers de la Section des Sciences de l'Education (n°25), 1989, p. 23.