La psychanalyse, une spécialité réservée aux scientifiques

Il est néanmoins à remarquer que de congrès en congrès, grande place est faite à la psychologie. Mais de quelle psychologie s'agit-il ? L'Education nouvelle dans ses orientations premières montre en permanence le désir de respecter la nature profonde - et bien souvent cachée - de l'enfant, les théories psychanalytiques sont donc toutes indiquées pour trouver un écho favorable au sein de la Ligue puisqu'elles ont l'ambition d'atteindre au plus profond de l'être, là où les tendances instinctives, les plus naturelles et les plus libres se manifestent. C'est dans ce sens que Joung a pu dire au congrès de Calais : ‘« Ceux qui prennent sur eux la responsabilité de l'éducation, doivent en premier avoir une perception intuitive et une connaissance des "tendances directrices" naturelles des jeunes. S'ils ne les possèdent pas, l'éducation devient la greffe de formules générales et de doctrines compliquées. Une connaissance des processus de l'inconscient est d'une valeur immense pour trouver ces tendances directrices »’ 410. On peut à l'inverse s'interroger sur l'accueil que la nouvelle science psychologique fera aux pédagogues de l'Education nouvelle. Si ces derniers ne cessent de lui faire appel, comment est reçue en retour cette demande par les psychanalystes ?

Pour sa part, Jung ne refuse pas de participer aux congrès de la Ligue, mais à Heidelberg comme à Montreux, il tient à renouveler ses mises en garde et à plaider contre la réunion de la psychanalyse et de la pédagogie que souhaitent pourtant les tenants de l'Education nouvelle : ‘« Aussi longtemps que d'autres méthodes éducatives sont efficaces et utiles, nous n'avons pas besoin de la coopération du subconscient »’ 411. A Heidelberg, quand Jung parle de l'éducation individuelle qu'il réserve tout spécialement aux ‘« enfants et aux élèves qui opposent avec succès une résistance à l'éducation collective »’ 412, il tient à en parler en spécialiste : il s'agit d'un « traitement »413, ou encore ‘« d'une sorte d'intervention chirurgicale qui, sans préparation technique suffisante, peut facilement entraîner des suites fâcheuses. Il faut une grande expérience médicale pour savoir où et quand cette intervention doit avoir lieu »’ 414. La psychanalyse n'est d'aucun secours pour l'éducation, sauf en cas d'échec de celle-ci, c'est alors et alors seulement qu'un traitement individuel s'avère nécessaire.

Que revendique Jung sinon une démarcation d'ordre épistémologique entre les deux domaines qu'occupent la psychanalyse et la pédagogie ? Contre quel risque veut-il prévenir l'éducation ? Il ne s'agit pas d'un risque direct pour la personnalité de l'enfant, mais plutôt d'une menace pour la science, ou plus exactement pour le fondement scientifique que revendique la "toute jeune" psychanalyse. Autoriser les éducateurs à travailler sur le matériau psychanalytique qu'est le rêve, c'est encourir le risque de la vulgarisation, de la simplification, de la réduction, car l'explication des rêves ‘« exige non seulement beaucoup d'expérience et de tact mais aussi beaucoup de science »’ 415...

Notes
410.

« La psychanalyse », congrès de Calais, The creative self-expression of the child, op. cit., p. 138.

411.

« L'importance du subconscient dans l'éducation individuelle », P.E.N., n°17, octobre 1925, p. 14.

412.

Id., p. 12.

413.

Ibid.

414.

Ibid.

415.

Id., p. 13.