La psychologie génétique : psychologie ou physiologie ?

Cependant, face au monopole que la psychanalyse tend à acquérir dans les premiers temps de la Ligue, Decroly intervient pour tempérer l'importance à accorder au côté affectif du psychisme enfantin : ‘« Notre psychisme présente deux faces, deux sens de relations : action du moral sur le mental, du coeur sur la raison ; ou action de la raison sur l'affectif, du mental sur le moral »’ 419. Devant une nature psychiquement double, « l'éducateur doit chercher un compromis » entre éducation du sentiment et éducation de l'intelligence. Cette intervention est révélatrice des difficultés qui ont jalonné toute l'histoire du mouvement. En prenant le parti de la vérité sur l'enfant, l'Education nouvelle choisissait la science - pouvait-elle faire un autre choix à l'époque où elle s'est développée ? - , mais en optant pour la science elle se heurtait en réalité à la multiplicité scientifique. Une diversité dont l'effet inévitable sera la multiplication des regards portés sur l'enfant et la division de sa nature. Ainsi, quand Decroly évoque l'importance du « coeur sur la raison », rappelle-t-il que l'affectivité n'est qu'une dimension de la nature humaine et que s'il faut compter également avec le mental, il ne faut pas oublier que l'enfant est aussi un être de chair, une entité biologique.

Au congrès d'Heidelberg, il ne fait aucun doute pour Marcault420 que ‘« l'Education s'adresse plus efficacement aux énergies créatrices (intuition, spontanéité et intérêt), qu'aux automatismes de la conscience (mémoire, raisonnement et logique) »’ 421. La tâche de la science contemporaine consiste en l'union de ces deux aspects de façon à ‘« constituer une psychologie de la conscience créatrice, c'est-à-dire de son évolution »’ 422, ce qui résume bien en soi selon Marcault le but de la psychologie génétique. Celle-ci doit parvenir à dépasser la simple utilisation de la méthode physiologique qui ne fait qu'expliquer le développement des fonctions car ‘« la psychologie est un champ d'étude privilégié ; tandis que la synthèse physiologique échappe au biologiste, la synthèse psychique, le moi, est accessible au psychologue. Il est vrai en psychologie que l'oeil voit et se voit »’ 423. Cependant, quatorze ans plus tard, Pour l'ère nouvelle publiait un extrait de l'introduction de l'ouvrage de Marcault, L'éducation de demain 424, dans lequel il consacre la réconciliation de la psychologie et de la physiologie au bénéfice de la connaissance de l'enfant : ‘« C'est en effet dans son unité totale qu'on l'étudie aujourd'hui. Les sciences théoriques, physiologie et psychologie, se sont rejointes comme ont commencé à se rejoindre aussi leurs sciences appliquées, la médecine et l'éducation »’ 425. Il différencie l'instruction de l'éducation, la première a charge de culture et s'opère dans une sorte d'hérédité sociale, la seconde s'apparente à la création que permet l'infini des variations individuelles. Et les découvertes psychologiques modernes montrent à l'évidence ce qu'il appelle ‘« la loi de variation spirituelle »’ 426. Mais aussi ce qu'il appelait en 1925 « conscience créatrice »427...

De congrès en congrès, le choix d'un fondement scientifique rebondit à l'intérieur de l'Education nouvelle. Parce qu'elle a fait le choix de la positivité, elle n'a pas pu choisir entre toutes les orientations scientifiques. Parce qu'elle se voulait progressive, elle a évolué au gré des découvertes de la science.

Notes
419.

« Comment l'éducation intellectuelle contribue à sublimer les tendances », P.E.N., n°8, octobre 1923, p. 117.

420.

Professeur à l'Université de Clermont-Ferrand.

421.

« Psychologie de la conscience créatrice », P.E.N., n°17, octobre 1925, p. 14.

422.

Ibid.

423.

Ibid.

424.

Livre que Marcault a écrit en collaboration avec Thérèse Brosse et publié à la Librairie Alcan, à Paris.

425.

« L'éducation de demain », P.E.N., n°149, août-septembre-octobre 1939, p. 199.

426.

Id., p. 201.

427.

Voir « Psychologie de la conscience créatrice », art. cit.