Vers une psychologie sociale

C'est pourquoi au cours du congrès d'Elseneur destiné à déterminer des programmes scolaires en accord avec les découvertes de la psychologie nouvelle, il est manifeste que des positions sociologiques sur l'enfant, sur sa nature, se font jour et influencent les principes mêmes de cette science. Autrement dit, la psychologie n'a pas seulement à déterminer, déceler, ce qui peut constituer la nature individuelle de l'enfant, mais elle se doit d'observer le comportement de l'enfant dans son milieu. Et il s'avère que ce comportement, qui est manifestation de la nature enfantine selon le présupposé de la psychologie, est très dépendant de son environnement.

C'est, d'une certaine manière, l'affrontement de deux psychologies : une psychologie introspective, de type psychanalytique, et une psychologie sociale, de type behavioriste. C'est également à cet endroit que s'origine la rupture entre les deux courants majeurs de l'Education nouvelle, comme le montre bien l'intervention de Lewin. Il y exprime très ouvertement son opposition à Adler à propos de la classification selon des types psychologiques : ‘« La définition génotypique montre comme quoi, inversement, des comportements identiques de différents individus ne supposent pas, comme il semble résulter de la théorie d'Adler, une identité d'aptitudes »’ 428. Il veut opérer un complet renversement conceptuel, ne plus parler de comportement caractéristique, de types psychologiques mais de logique comportementale, de lois de comportement. La nouveauté réside dans la recherche de lois générales par-delà les disparités individuelles : ‘« Les lois psychologiques universelles et les particularités individuelles ne sont donc pas en opposition ; au contraire, on ne peut établir de lois universelles qu'en prenant pleinement en considération la particularité individuelle. Inversement on ne peut établir de particularité individuelle qu'en connaissant de façon précise les lois universelles régissant les situations et modes de réaction qu'on prend comme caractéristique des particularités d'un individu. ’ ‘La détermination des lois et celles des particularités individuelles sont donc, en fait, corrélatives et inséparables’ ‘ »’ 429. Lewin intègre dans des ‘« concepts ’ ‘conditionnels et génétiques’ ‘ et faisant appel à l'idée de ’ ‘construction’ ‘ conceptuelle »’ 430 les disparités individuelles que les définitions typologiques admettaient en affirmant l'inexistence probable du type pur. Cette nouvelle conception présente l'immense avantage de ‘« pénétrer jusque dans le comportement concret des individus dans les situations qui se présentent dans la réalité historique »’ 431. La nouveauté radicale de la position de Lewin, et de bien d'autres à sa suite, n'est rien d'autre que l'introduction d'une nouvelle variable, celle de la réalité du milieu d'un individu, et de toutes les conditions historiques ou matérielles, pour expliquer son comportement parce qu'elles ne sont pas sans influer sur celui-ci.

Que se passe-t-il donc ? On assiste à la substitution d'une nécessité génétique et de progrès à une nécessité de la condition, historique et aléatoire. Mais c'est toujours dans l'ordre de la nécessité qu'on explique la nature humaine, ou plus exactement la nature du comportement humain. L'être humain n'est plus seulement appréhendé à partir de sa nature individuelle mais déterminé par sa condition sociale. Ce que revendique la psychologie sociale, c'est de ne pas seulement comprendre les mécanismes internes de l'enfant, qui risquent par la force des choses d'être des élaborations un peu inexactes, mais au contraire de chercher la vérité dans le comportement social de l'individu, dans la réalité.

Notes
428.

« Les types et les lois de la psychologie », P.E.N., n°52, novembre 1929, p. 251.

429.

Id., p. 252.

430.

Ibid.

431.

Ibid.