Les contradictions

Mais c'est bien là qu'apparaît tout le paradoxe de l'Education nouvelle. Comment parvenir à concilier l'enfant de la théorie scientifique dans son universalité avec l'enfant concret du pédagogue dans ses particularités ? Comment faire coïncider l'enfant du théoricien avec l'enfant du praticien ? Comment éviter de "décomposer" la nature enfantine par le nécessaire acte de connaissance que réclame l'entreprise éducative qui, bien qu'elle se veuille respectueuse de cette nature ne peut faire autrement que de la diviser ?

Elseneur présente la particularité d'avoir soulevé le problème de la position que doit adopter l'Education nouvelle face à la pluralité des psychologies auxquelles elle ne cesse de faire référence. Que devient l'éducation, que devient la pédagogie au milieu de cette "cacophonie scientifique" ? A Elseneur, la pluralité divise manifestement la psychologie en plusieurs champs conceptuels mais ne fait pas encore éclater le projet que la Ligue s'est donné : le développement de l'enfant dans toutes ses potentialités, autant dire ses particularités. Et ce sera le message répété de Ferrière au cours de plusieurs de ses allocutions, il rappellera que la nouvelle éducation devra être individuelle si elle se veut scientifique et la psychologie individuelle pour permettre une meilleure connaissance des natures particulières, selon les typologies que la science peut établir. Individualiser l'éducation et individualiser la psychologie, deux démarches qui vont de pair et qui sont tout le contraire d'une porte ouverte à l'individualisme : ‘« si nous voulons fonder l'éducation nouvelle sur une base scientifique, il faut à tout prix individualiser l'enseignement et l'éducation. Individualiser et socialiser : l'un entraîne l'autre »’ 442. Mais ce qu'il faut absolument et sans contredit possible, c'est ‘« rendre justice aux individualités »’ 443.

Cependant, on ne retrouve pas intégralement cette thèse, qui a fait l'objet de son discours inaugural le 9 août 1929, dans la « Chronique du congrès » rédigée ultérieurement : ‘« L'enfant crée, parce qu'il doit réaliser en son moi. L'enfant s'adapte au monde dans lequel il doit vivre. Contradictions, luttes, efforts. Voilà l'éducation. (...) Chaque être prend sa nourriture, comme une plante par les racines, dans le milieu ambiant »’ 444. La métaphore de la plante est ici très parlante parce qu'elle présente un point de vue sur l'enfant imperceptiblement différent de celui que Ferrière souhaitait exposer au tout début de la Ligue. En 1922, dans le premier numéro de Pour l'ère nouvelle, il écrivait que : ‘« L'enfant grandit comme une plante. Chaque enfant. Chaque enfant selon son espèce, comme chaque plante selon son espèce, comme chaque petit animal selon son espèce. (...) A la petite plante, donnons la terre, le soleil et la pluie dont elle a besoin. Pour le reste, laissons faire la nature »’ 445. La croissance de l'enfant reste dépendante de son environnement, mais en 1929 Ferrière parle d'adaptation de l'enfant à son monde, une opération contraignante et difficile, alors qu'en 1922 il parlait de donner à l'enfant selon ses besoins dans un processus d'assimilation paisible.

Notes
442.

« De la nécessité d'orienter la psychologie vers l'étude de l'individualité », P.E.N., n°51, octobre 1929, p. 214.

443.

Ibid.

444.

P.E.N., n°51, octobre 1929, p. 225.

445.

« Pour l'ère nouvelle », P.E.N., n°1, janvier 1922, p. 2.