1. Une nature bonne en soi, un mal social

Il serait erroné de penser que l'Education nouvelle dans son ensemble croit "naïvement" en une bonté spontanée de l'enfant. Il est bien plus juste de penser qu'elle croit en l'innéité de bonnes tendances en l'enfant. Si le bien est potentiellement en l'enfant, dans sa nature, c'est que le mal est social, hors de la nature, hors de l'ordre naturel. L'enfant ne peut être tenu responsable de sa nature dévoyée. S'il est veule, s'il agit mal, la responsabilité en incombe à son milieu de vie - et non à sa nature - qui n'a pas su aider à la préservation de ses bonnes tendances. Tout le problème est de parvenir par des moyens appropriés à développer ces bonnes tendances en l'enfant.

On peut cependant s'interroger devant l'insistance avec laquelle, au cours d'une allocution à Nice, Ferrière met en valeur la notion de « Bien social » dans la présentation qu'il fait de Ghandi qui ‘« s'attache bien moins à la Science qu'au Bien, au Bien social avant tout »’ 446. Il admire chez Ghandi sa distance d'avec la science, alors même qu'il revendique depuis toujours des fondements scientifiques pour l'Education nouvelle. Pourquoi cette contradiction ? Ferrière veut en réalité appuyer la thèse de la bonté naturelle, car si le Bien est social dans la pensée de Ghandi, le mal l'est aussi, parce qu'introduit artificiellement par l'homme dans l'ordre de la nature. Il revient donc à l'homme de reconstruire ce qu'il a dérangé, c'est en cela qu'il manifeste la bonté originelle de sa nature. Une seule solution : retrouver son état originel, « l'état de non-violence » qui est aussi ‘« l'état normal de l'homme sain de corps et d'esprit »’ 447, autrement dit l'état naturel.

On retrouve aussi cette idée de retour vers un état originel dans la présentation que Ferrière fait aussi du Home Chez nous, une institution qui applique les principes de l'Education nouvelle et qui lui tient à coeur, comme en témoigne le ton enthousiaste de la communication. Il peut à cette occasion revenir sur ce qu'il venait plus ou moins de concéder dans ses interventions précédentes en donnant à sa manière une définition de la "réussite pédagogique" : ‘« Réussir à quoi ? A sauvegarder la virginité spirituelle des enfants, leur spontanéité créatrice, leur élan constructeur, leur foi en la vie, leur énergie au travail. Car tel est le but de toute éducation, n'est-il pas vrai ? »’ 448. Retourner aux sources, c'est sauvegarder cet état naturel dont parlait Ghandi et que manifeste tout enfant qui a grandi dans l'esprit de l'Education nouvelle.

Depuis ses débuts et jusqu'au dernier congrès d'avant-guerre, la Ligue fait preuve d'un naturalisme caractéristique, elle croit en une nature humaine foncièrement bonne. Tout ce que l'homme fait de mal ne peut être le fruit de sa "véritable" nature. A partir de là, il ne reste plus au pédagogue nouveau qu'à tout aménager pour que l'enfant agisse selon sa nature. Et cela implique la liberté de son expression.

Selon Katzaroff à Cheltenham, il ne fait aucun doute que l'éducation doive se dégager de toute influence politique, quelle qu'elle soit. Sur ce point, la liberté accordée à l'enfant doit être entière, ‘« en lui laissant la liberté de se déterminer et de choisir sa doctrine lui-même dans les domaines politique social et autres »’ 449. S'agit-il d'un libre-arbitre immodéré ? Non, pour Katzaroff qui précise aussitôt que l'enfant fera un choix libre dans la mesure où il l'effectue ‘« d'après les particularités propres de sa nature »’ 450. L'enfant qui suit les indications de sa nature, est imprégné de « l'esprit du bien » et ne peut faire un mauvais choix. Il choisira "forcément" ce qui est bon, mais dans ce cas y a-t-il encore liberté de choix ?

Notes
446.

« Ghandi et la santé. Prévenir ou guérir », P.E.N., n°84, janvier 1933, p. 15.

447.

Id., p. 21.

448.

« Un foyer : "Chez nous" », P.E.N., n°86, mars 1933, p. 76.

449.

« L'éducation religieuse, facteur d'asservissement ou de liberté », P.E.N., n°122, novembre 1936, p. 265.

450.

Ibid.