2. La non-responsabilité de l'enfant

A Montreux, des psychanalystes, Coué, Baudouin et Jung, prennent la parole, et introduisent le concept d'inconscient dans la problématique pédagogique, ce qui n'est pas anodin. Coué insiste sur des phénomènes mentaux imaginaires et inconscients pour expliquer la distance entre le vouloir et le pouvoir : ‘« plus nous avons de volonté, plus nous faisons le contraire de ce que nous voulons »’ 483. Et c'est pourquoi, il n'y a pas d'autres moyens d'agir sur cet inconscient, qui nous échappe par définition, que d'employer l'autosuggestion, selon la « loi de l'effort converti » définie par Baudouin. L'enfant présente la particularité d'être ‘« éminemment suggestible ; il est extrêmement facile de le persuader par la parole, par le geste et de l'entraîner à des actes favorables ou défavorables. Par conséquent, il est très facile à éduquer »’ 484.

Que dire de ces deux présentations de la psychanalyse sinon qu'elles sont étrangères l'une à l'autre ? Quoi de commun en effet entre les méthodes de persuasion préconisées par Coué et les mises en garde de Baudouin - décrites précédemment - devant d'éventuelles applications de la psychanalyse à l'éducation, entre un inconscient qu'on manipule pour le bien de l'enfant et un inconscient qu'on se refuse à manipuler pour la même raison ?

Les auditeurs de Coué ont-ils perçu la contradiction qui existe entre sa technique de persuasion qui déresponsabilise l'enfant devant ses propres actes, et le rêve d'autonomie pour l'enfant qui tient au coeur de tous les "éducateurs nouveaux" ? Plus surprenante encore est la phrase qu'on peut lire quelques lignes plus loin et qui contredit complètement la technique éducative présentée par Coué : ‘« Il faut s'ingénier à développer au plus tôt la personnalité de l'enfant, lui apprendre de bonne heure à être son propre gouvernement, à ne point reposer sur la direction d'un précepteur, à ne pas accepter de prendre une décision qui n'ait été discutée et choisie par lui-même »’ 485.

De même à Locarno, la psychologie est reconnue capable de donner les moyens de comprendre et donc de traiter de l'extérieur certains problèmes de comportement. Selon le Docteur Hamaker, ‘« La négligence chez l'enfant peut s'expliquer par une maladie mentale ou physique, (...) l'on pourrait assigner quantité de causes à la désobéissance, à l'esprit de révolte ou de destruction, ainsi qu'à bien d'autres formes de la mauvaise conduite »’ 486. Mais ce qui est ici énoncé implicitement, c'est la non-responsabilité de l'enfant face à des comportements inacceptables, autrement dit quand il agit "mal". Puisque la science psychologique est capable d'expliquer par les circonstances, mais aussi par un milieu social inadéquat toutes les erreurs, toutes les aberrations dont l'enfant est le siège, c'est donc bien malgré lui et contre sa nature qu'il agit ainsi.

Enfin, même si Elseneur marque un tournant dans les orientations idéologiques et scientifiques de la Ligue, force est de constater que la science, qu'elle soit psychologique ou sociale, et parce qu'elle a vocation d'expliquer et de justifier, ne peut faire autrement que de déresponsabiliser. Soit elle continue de s'intéresser à l'enfant en tant qu'individu et s'efforce de le comprendre en suivant les indications que lui fournit la psychologie, soit elle ne dissocie pas l'enfant de son environnement social et matériel qu'elle s'oblige à mieux connaître par des moyens d'investigation sociologique. Suivant l'option scientifique de référence, les difficultés de développement observées chez l'enfant seront attribuées soit à des problèmes affectifs non résolus, ou à de mauvaises conditions sociales.

Notes
483.

« L'autosuggestion et ses applications à l'éducation et à la rééducation », P.E.N., n°8, octobre 1923, p. 111.

484.

Id., p. 112.

485.

Id., p. 113.

486.

« L'enfant difficile », P.E.N., n°32, novembre 1927, p. 227.