3. Une liberté conditionnelle

Singulièrement, la psychanalyse, parce qu'elle est capable d'expliquer certains comportements déviants, est aussi comprise comme un outil de libération au service du pédagogue. Par exemple dans les cas de complexes, Pfister487 dira à Locarno que ‘« la vieille pédagogie, qui ne tient aucun compte de l'inconscient, est incapable de remédier à cette perte de liberté ; au contraire, une éducation fondée sur la psychanalyse est couronnée de succès dans un très grand nombre de cas »’ 488.

Et si dans son intervention finale à Locarno, Katzaroff se fait sans le savoir le précurseur des débats à Cheltenham en rappelant que ‘« le but de l'éducation doit être de faire de chaque enfant une personnalité morale libre »’ 489, cela montre aussi que le problème de la liberté en éducation est loin d'être résolu à Locarno, même si Ferrière y voit « un travail de synthèse » bénéfique et préparatoire au « travail d'analyse » qui caractérisera le congrès d'Elseneur, où on fera ‘« de la besogne sérieuse, en évitant l'intervention inopportune des incompétents »’ 490...

C'est au cours du congrès de Cheltenham que se pose le plus ouvertement le problème de l'éducation à la liberté. Bien souvent au cours des débats, le postulat d'une liberté nécessaire à la nature humaine se trouve relativisé par le problème que peut soulever l'idée de perturbations psychologiques et affectives de l'enfant, vues comme autant de "déformations" de la nature. La liberté ne peut être accordée qu'à une nature reconnue "bonne en soi", autrement dit pour les éducateurs nouveaux, une nature saine. Béatrice Ensor parle ainsi de ces ‘« enfants (qui) souffrent de déviances affectives qu'il s'agit de mettre au jour avant qu'il soit possible de leur donner la liberté »’ 491... L'autonomie ne représente qu' ‘« un des aspects de la liberté à l'école » et ne sera possible que « dans un milieu choisi scientifiquement »’, ce que Béatrice Ensor résume dans la formule ‘« faire ce qui lui plaît dans un champ donné »’ 492. Selon Decroly et dans le même sens, il importe pour décider du degré de liberté à accorder à l'enfant, de bien le connaître.

Comment ne pas remarquer que, dès qu'elle parle de liberté pour l'enfant, l'Education nouvelle ne peut faire autrement que de la réduire alors même qu'elle s'en était fait un emblème ? C'est même au nom de la nature qu'elle s'autorise à le faire. Il y a bien là une contradiction entre une liberté qu'on revendique pour l'enfant au nom de sa nature, au nom d'une nature qui est demandeuse de liberté, et une nature qu'on limite dès qu'elle ne correspond plus à l'idéal qu'on s'en fait, mais cette fois au nom d'une véritable liberté.

Bovet avait déjà signalé cette lacune au congrès de Locarno. Il s'inscrira en rupture avec le concert de voix toutes à la gloire de la liberté en éducation en rappelant que la liberté ne peut pas être un but en soi, ni pour l'éducation ni pour la société, mais simplement un levier vers quelque chose de bien à réaliser, un idéal. ‘« Indispensable à la réalisation de n'importe quel idéal et partant de tout idéal moral, la liberté n'est pas un idéal, un but suffisant à soi-même »’ 493. La liberté n'est bonne que dans la mesure où elle sert des buts élevés. Elle reste cependant la seule alternative au dogmatisme moral, car ‘« Si la liberté n'est pas un but en elle-même, elle est sans doute un des meilleurs moyens que nous ayons à notre disposition pour permettre à l'enfant de discerner par lui-même ces buts supérieurs à lui qui donneront une valeur morale à sa vie : le respect de la justice et le don de soi »’ 494.

Notes
487.

Pasteur à Zurich.

488.

« L'essence de la liberté à la lumière de la psychanalyse », P.E.N., n°32, novembre 1927, p. 226.

489.

« Qu'entendons-nous par éducation nouvelle et comment travaillons-nous pour la développer en Bulgarie ? », P.E.N., n°32, novembre 1927, p. 253.

490.

« Chronique du congrès », P.E.N., n°32, novembre 1927, p. 264.

491.

« La relativité de la liberté », P.E.N., n°31, septembre-octobre 1927, p. 178.

492.

Ibid.

493.

« La liberté, but ou moyen », P.E.N., n°31, septembre-octobre 1927, p. 175.

494.

Id., p. 177.