4. Caractérologie contre typologie

A Elseneur, Wallon, en disant tout comme Lewin, ne pas vouloir d'une science au rabais, tente dans une sorte d'appel à la raison de convaincre les tenants des types psychologiques de ne pas refuser de parler en termes de lois, sous prétexte de sauvegarder la liberté de l'individu. A la notion de type, il préfère celle de caractère qui tient mieux compte du milieu de développement, il est même devenu ‘« contre l'ancienne psychologie analytique, atomistique et mécaniste, l'argument par excellence »’ 495. Ce qui est massivement reproché aux typologies, c'est de ne pas pouvoir appréhender l'enfant dans son devenir, son évolutivité. Il y a bien là un enjeu idéologique, car c'est au nom de la liberté de l'enfant qu'on demande à la science de tenir compte du milieu de vie de l'enfant. Mais c'était aussi en son nom qu'on lui demandait de déceler la nature réelle de l'enfant pour mieux la suivre.

Que répond Ferrière à ces attaques à peine déguisées ? Il est rédacteur de la revue de la Ligue, et on peut penser que s'il introduit les conceptions de Krafft sur la cosmobiologie peu après les textes de Lewin, Wallon, Boven et Pende, ce n'est pas par hasard. Krafft est intervenu deux fois à Elseneur sur la cosmobiologie dont il justifie l'assise scientifique de cette manière : ‘« Depuis la fin du siècle dernier, l'attention du monde scientifique et, en particulier, des biologistes et des médecins se dirige de plus en plus vers un problème dont l'importance, tant au point de vue théorique que pratique, ne saurait être méconnue : c'est la question des rapports possibles ou probables existant entre certains phénomènes d'ordre cosmique et des événements terrestres »’ 496. Les applications possibles de cette conception à l'enfant sont simples : ‘« on sera peut-être un jour à même de ’ ‘diagnostiquer’ ‘ en deçà de certaines limites sa constitution psychophysique, ses maladies, goûts, habitudes, réactions et, de cette façon, même pronostiquer ce qui lui arrivera au courant de sa vie »’ 497... Mais dans ce cas, que devient la liberté d'advenir de l'enfant ?

Ceci n'empêche pas Ferrière d'apprécier les théories basées sur la cosmobiologie qui ont, selon lui, l'avantage sur la notion de caractère, d'offrir une position synthétique qui permet de ne pas se cantonner simplement aux ‘« aspects extérieurs de l'être »’ 498, mais qui s'attache à démontrer le ‘« lien profond entre le macrocosme et le microcosme, l'univers et l'homme »’ 499. De cette manière‘, « M. Krafft a montré que, dans nombre de domaines, la genèse des êtres et des choses suit cette même marche »’ 500.

Quel est l'enjeu de ces débats théoriques à Elseneur ? Il est en réalité bien moins un enjeu scientifique qu'axiologique. Ainsi, quand Luzuriaga parle de la part à accorder au jeu et au travail en éducation, il fait un choix idéologique. Il explique que si le jeu demeure la base d'une éducation selon les principes de l'Education nouvelle, il ne doit pas consister en la simple conservation en l'enfant des caractères de l'enfance, ‘« l'école doit être une ’ ‘play school’ ‘, mais aussi une ’ ‘Arbeitsschule’ ‘, c'est-à-dire une école de jeu ’ ‘et’ ‘ de travail »’ 501. C'est une idée insolite que celle de "sortir" l'enfant de son monde, habituellement mythifié par l'Education nouvelle. On est loin de la confiance dans les potentialités de l'enfant ! Cette option que Luzuriaga prend contre le jeu, activité propre de l'enfant, est en réalité un choix de valeurs en faveur de l'adulte. Il manque au jeu d'être une activité utilitaire comme le travail, ‘« une activité subordonnée à une fin transcendante »’ 502. Cela ne se fera pas sans une révolution des mentalités puisque ‘« la plus grande résistance rencontrée dans l'école par l'idée de travail est due à une conception pseudo-arsistocratique et chrétienne d'après laquelle le travail est un mal, bien qu'un mal nécessaire, et l'oisiveté un bien, le bien suprême (la contemplation) »’ 503.

Notes
495.

« Les composantes neurologiques du caractère », P.E.N., n°52, novembre 1929, p. 254.

496.

« Cosmobiologie. Des relations existant entre des phénomènes astronomiques, météorologiques et biologiques », P.E.N., n°52, novembre 1929, p. 264.

497.

« Astro-psychodiagnostique. Des possibilités d'une caractérologie basée sur la cosmobiologie », P.E.N., n°52, novembre 1929, p. 268.

498.

« La situation actuelle et l'avenir de la psychologie individuelle », P.E.N., n°52, novembre 1929, p. 268.

499.

Ibid.

500.

Id., p. 269.

501.

« Le jeu et le travail dans l'éducation », P.E.N., n°52, novembre 1929, p. 249.

502.

Ibid.

503.

Id., p. 250.