Une destination sociale

Wallon exprime de cette manière son opposition franche au postulat de base des psychopédagogues du mouvement, le spontanéisme. Ainsi combat-il l'idée chère à Ferrière de voir en l'enfant un primitif, un être de nature : ‘« Ainsi vous voyez que nous ne pouvons pas parler d'un enfant à l'état pur, d'un enfant qui aurait des aptitudes absolues, d'un enfant qu'il faudrait laisser se développer, respecter purement et sûrement comme un petit primitif. L'enfant, dès qu'il commence à agir, dès qu'il commence à avoir des besoins, appartient à sa société, à sa civilisation, et les premières choses qu'il rencontre autour de lui le mettent en contact avec un état de civilisation qui n'est pas un état naturel, mais le résultat d'une évolution qui a duré des millénaires »’ 530. L'enfant est sans doute le plus ‘« dépourvu de tous les animaux »’ 531, mais paradoxalement cela ne représente pas une faiblesse car il a ainsi toute possibilité d'apprendre de son milieu ‘« certaines façons d'agir ou de penser »’ 532. L'individu appartient à son milieu.

Il n'est désormais plus possible, pour Wallon, de revendiquer une quelconque vérité sur la nature de l'enfant sans tenir compte de son environnement. Et s'il redit en 1939533 que l'homme se distingue de l'animal par son enfance prolongée, c'est pour mieux affirmer que cette période offre à l'individu l'opportunité de progresser selon son niveau de croissance dans l'espèce et selon les possibilités de son milieu, selon ce qu'il est et où il est. ‘« D'un côté, maturation plus complexe et plus lente des fonctions mentales. De l'autre matériel plus nombreux et plus abstrait à assimiler »’ 534. L'éducation trouve sa place au centre de ces deux processus opposés qu'elle se doit de coordonner : une maturation naturelle et biologique et une assimilation culturelle et sociale. L'opposition entre développement individuel et adaptation sociale, n'a pas de fondement scientifique pour Wallon. Le dilemme "individu et société" n'a donc pas de sens. C'est sur cette base que s'établira peu à peu dans le mouvement de l'Education nouvelle, une option sociopolitique qui prend sa source dans la thèse d'une cohésion possible de l'individu dans la société, une cohésion qui reste à construire par l'éducation.

Notes
530.

« Culture générale et orientation professionnelle », art. cit., p. 248.

531.

Ibid.

532.

Id., p. 249.

533.

Cet article présente une communication prévue pour le congrès de Paris de 1939 dont le thème était « Les éducateurs et la réalisation de l'idéal démocratique ».

534.

« Les droits de l'enfant », P.E.N., n°149, août-septembre-octobre 1939, p. 192.