Orienter

Au congrès européen de Paris de 1946, les débats sont centrés sur la réorganisation des systèmes éducatifs dans les différents pays et en partie dirigés par les besoins de reconstruction aux lendemains du conflit mondial. Piéron y expose à nouveau ses conceptions sur l'organisation de l'orientation scolaire comme solution au problème de la conciliation de l'intérêt général et des intérêts particuliers. Le psychologue scolaire et le conseiller d'orientation professionnelle sont indispensables à cette nouvelle organisation : le premier procède à l'étude objective de l'enfant mais qui n'a pas « besoin de connaître le marché du travail », et le rôle du second consiste à ‘« diriger, en fonction des aptitudes professionnelles et des besoins de la nation vers telles ou telles écoles professionnelles »’ 572. Mais le statut de ces professionnels de l'orientation à l'intérieur de l'école demeure ambigu : Piéron précise qu'ils « seront des éducateurs, mais spécialisés dans les techniques d'examen », et ajoute aussitôt qu'il leur faudra ‘« abandonner, en effet, tout au moins momentanément, le souci de formation éducative »’ 573. L'important est de respecter l'objectivité rigoureuse des méthodes employées, celle qui manque tant aux méthodes d'investigation psychanalytique dont les interprétations sont inacceptables du fait de leur « coefficient de subjectivité »574.

Piéron reconnaît ce dilemme auquel l'éducation est en permanence confrontée : elle est écartelée entre l'objectif de former les hommes dont la société a besoin et le souci de répondre aux « désirs spontanés »575 des enfants. Introduire l'orientation psychologique à l'école est la solution que préconise Piéron. Pourquoi ? En premier, la nécessité d'une orientation s'impose par la démocratisation même de l'enseignement : il devient urgent de répondre à la « différenciation des individus » par « l'institution de voies différentes »576. En second, il ne connaît pas de méthode pédagogique idéale qui permette ‘« d'obtenir des résultats pratiquement équivalents avec des individualités inégalement douées »’ 577. Finalement, l'orientation est le moyen de mettre en adéquation la "nature individuelle" et la "nature sociale" de l'enfant.

En quoi le principe d'une orientation ainsi conçue se justifie-t-il ? En quoi l'orientation se démarque-t-elle de la sélection ? Pour Piéron, la réponse est claire : l'orientation scolaire se démarque de toute sélection artificielle parce qu'elle permet l'aiguillage des enfants selon leurs aptitudes naturelles et stables puisqu' ‘« il y a fort peu d'individus réellement interchangeables »’ 578... Mais il s'agit toujours et encore de suivre la nature de l'enfant et la solution de l'orientation apparaît être celle du "moindre mal". Obéir ainsi à une nature passée au crible de la science pour éviter toute intrusion subjectiviste humaine qui serait la marque d'une sélection artificielle.

Notes
572.

« Rapport préliminaire de la 4ème Commission : Orientation et Sélection », P.E.N., n°2-3-4, novembre-décembre 1946 et janvier 1947, p. 83.

573.

Ibid.

574.

Id., p. 84.

575.

Id., p. 83.

576.

Id., p. 82.

577.

Id., p. 83.

578.

Ibid.