2. La formation civique

Il n'y a pas d'autres manières de faire le bien que de participer au "bien général", c'est-à-dire au bonheur de la communauté. Tout ce qui aidera à l'institution dans l'école d'une véritable communauté sera encouragé. On comprend dès lors que la formation civique prenne une importance accrue.

Et les exemples à suivre proviennent d'horizons très éloignés. Ainsi est-il frappant d'entendre Wallon, en 1932 au congrès de Nice, valoriser le système éducatif russe qui a opéré le ‘« renversement qui consisterait à faire du métier, de la profession le point de départ de la culture »’ 602, puisque ‘« Là sera peut-être l'origine de quelque chose qui unirait les hommes entre eux »’ 603 ; ce qui ne l'empêche pas de promouvoir en 1939 les principes de Dewey qui ‘« assimilant aux besoins des personnalités libres le régime démocratique comme leur projection sur le plan collectif, veut pour l'école une structure démocratique »’ 604...

Introduire dans l'école une organisation dont la base est politique, ce n'est pas inoffensif, le risque est justement de favoriser un glissement vers tel ou tel type de société. Ainsi à Nice, Marc-André Bloch pense que la tâche propre de l'école est de ‘« former chez les jeunes générations l'intelligence politique et sociale »’ 605, mais il précise qu'une éducation civique bien comprise doit certainement ‘« s'interdire de "fabriquer" consciemment et volontairement, soit des conservateurs, soit des révolutionnaires »’ car il n'est certes pas de son rôle d' ‘« empêcher la formation des uns et des autres »’ 606. Il revendique ainsi une neutralité de l'éducation civique mais qui doit demeurer mitigée, car la paix sociale ne naîtra pas de l'ignorance du conflit, de son évitement, mais au contraire de conflits surmontés, dépassés, explicités, signe évident d'une acceptation des différences, qu'elles soient politiques ou autres.

Au congrès de Paris en 1946, Bloch rédige le rapport préliminaire de la Commission « Education individuelle et sociale » dans lequel il rappelle d'abord que l'école nouvelle s'est donné depuis toujours la mission d'éducation morale de « spiritualisation de l'être »607. Ce qui n'annule en rien l'indispensable questionnement de fond sur les finalités que doit adopter l'Education nouvelle : ‘« l'épanouissement de la personnalité ou éducation pour la communauté et par la communauté »’ 608. La Ligue ne peut pas faire l'économie d'un débat qui se perpétue d'un congrès à l'autre : ‘« les deux conceptions s'affrontent et s'opposent : et tandis que, dans la ligne de leur tradition, la conception individualiste paraît dominer chez nos amis anglo-saxons, nos amis russes ont indiscutablement tendance à souligner davantage, dans leur théorie et leur pratique éducatives, l'importance de tout ce qui peut former chez l'enfant l'esprit de dévouement au bien de la collectivité nationale, et cultiver chez lui, avant tout, la volonté de contribuer, par son effort, au développement et à la consolidation de la société socialiste »’ 609. Et comme bien souvent au cours de son histoire, la Ligue sauvera la neutralité par la pluralité, l'unité par la diversité, car ‘« il ne saurait être question d'accepter comme point de départ l'idée d'une irréductible antinomie entre les besoins de l'enfant et les besoins de la société »’ 610.

Notes
602.

« Culture générale et orientation professionnelle », art. cit., p. 250.

603.

Id., p. 251.

604.

« Les droits de l'enfant », art. cit., p. 194.

605.

« L'instruction civique à l'Ecole active », P.E.N., n°82, novembre 1932, pp. 288-289.

606.

Id., p. 289.

607.

Id., p. 105.

608.

« Rapport préliminaire de la 8ème Commission : Education individuelle et sociale », P.E.N., n°2-3-4, novembre-décembre 1946 et janvier 1947, p. 106.

609.

Id., p. 105.

610.

M. Sirevag, « Rapport final de la 8ème Commission : Education individuelle et sociale », P.E.N., n°2-3-4, novembre-décembre 1946 et janvier 1947, p. 108.