3. La transformation des mentalités

La prégnance d'une formation sociale devient un leitmotiv au congrès de Nice. La formation des maîtres n'y échappe pas comme le constate le rapporteur de la commission de travail qui lui est consacrée : ‘« Une autre tendance très marquée actuellement est ce que je pourrais appeler la prédominance des idées sociales »’ 611. Ce qui est attendu des maîtres constitue un bon "révélateur" des aspirations des partisans de l'Education nouvelle. Ainsi affirment-ils en 1932 qu' « une attitude sociale » chez l'éducateur, ‘« cette intuition de ce que les autres sentent ou souffrent »’ 612, cela dépasse toutes les aptitudes intellectuelles et politiques.

Certains, comme l'espagnol Llopis, poussent très loin le rôle de l'éducation dans le sens du changement social : ‘« Une révolution qui ne serait que politique n'est pas une révolution véritable ; elle doit avoir ses racines sociales. (...) Il faut encore une révolution psychologique (...). Or, cette révolution de la mentalité, c'est seulement à l'école qu'on peut la réaliser »’ 613. L'école, explicitement devenue un levier de transformation sociale parce qu'elle a le pouvoir de faire évoluer les mentalités, élargit considérablement son rôle éducatif auprès d'enfants : elle devient le « refuge spirituel du village »614, le lieu de « "missions pédagogiques" » d'éducation civique auprès des populations de travailleurs qui pourront à leur tour « porter la bonne nouvelle »615. Ces expressions d'ordre religieux qu'emploient Llopis montrent bien la véritable portée à la limite de l'endoctrinement de l'entreprise révolutionnaire qu'il ambitionne pour son pays : une révolution politique n'a sans doute pas les mêmes chances de succès et de longévité qu'une révolution "intérieure" issue d'un changement dans les mentalités. Bien qu'il reprenne la plupart des thèmes classiques de l'Ecole active dont une opposition à tout dogmatisme moral, bien qu'il affirme que ‘« personne n'a le droit de disposer de l'avenir de l'enfant »’ 616, cette volonté d'atteindre la transformation des mentalités n'a pas pu laisser indifférents les pionniers de l'Education nouvelle qui entendent son message. Qu'ont-ils pensé de ces convictions qui obligent Llopis à "renier" un précurseur unanimement reconnu par les fondateurs de la Ligue : ‘« Nous voulons qu'à l'école l'enfant fasse son apprentissage d'homme, mais pas à la façon de Rousseau »’ 617 ?

Notes
611.

M. Schneider, « Résumé des travaux de la Commission de la formation des maîtres », P.E.N., n°85, février 1933, p. 33.

612.

Ibid.

613.

« La rénovation de l'école dans l'Espagne républicaine », P.E.N., n°84, janvier 1933, p. 3.

614.

Id., p. 5.

615.

Id., p. 8.

616.

Ibid.

617.

Ibid.