2. Une morale scientifique

Si certains pédagogues de l'Education nouvelle ne peuvent se résoudre à donner valeur à une forme politique quelle qu'elle soit, il est cependant une question qui les réunit tous depuis l'origine du mouvement, celle de la promotion de l'Education nouvelle par la science.

Parler en scientifique et au nom de la science est pour Langevin la seule justification de sa présence à Nice. Il ne voit d'ailleurs pas d'autre solution à la crise que dans la science, et même s'il établit la possibilité d'un progrès moral, celui-ci demeure tributaire des avancées scientifiques. Car, ajoute-t-il, la science est ce qui permet à l'esprit de pénétrer la matière : ‘« lien nécessaire entre le monde matériel et le monde moral »’ 627. C'était une erreur d'avoir cru que ‘« les deux domaines de la matière et de l'esprit étaient indépendants l'un de l'autre et régis l'un et l'autre par des lois immuables et prédéterminées »’ 628. Et la morale, tout comme la science, n'est jamais définitivement établie.

A Cheltenham, Wallon s'interroge devant le discrédit contemporain que semble subir la science. Il voit à son origine la conviction que la science, dont la fonction est d'expliquer les lois de la nature, mettrait à jour notre déterminisme humain en même temps qu'elle limiterait notre liberté humaine. ‘« Mais est-ce bien la faute de la science ou de l'état social ? »’ 629 Si les progrès matériels apportés par la science ont pu être considérés comme nuisibles, c'est en raison de ses bienfaits non équitablement distribués à tous. La science ‘« est discréditée, non par la faute à elle, science, mais par le fait de l'organisation sociale »’ 630. La connaissance n'entraîne aucun asservissement, c'est bien au contraire le discours de l'homme sur lui-même en termes d'essences, d'impulsions, d'instincts, ou d'intuitions qui sont autant de « réalités inconnaissables »631 qui le réduisent à ce qu'il est. ‘« En cherchant à fonder la liberté humaine sur ce fond tout à fait irréductible, sur des impressions qui ne sont pas discutables ni transmissibles d'un individu à l'autre, nous ferions de l'homme un esclave, l'esclave de sa propre nature »’ 632.

On sait que pour Wallon, parler scientifiquement en termes de lois, c'est encore libérer le pouvoir de l'homme, une ‘« conception qui ne va pas du tout à l'encontre de ce qui nous reste à tous très cher, c'est-à-dire le domaine de la conscience »’ 633. A condition qu'on accepte de passer la conscience au crible de la mesure scientifique et qu'on parvienne comme pour tout autre domaine à en établir les lois, car ‘« le jour où nous aurons reconnu les liens qui peuvent exister entre les lois organiques de la vie individuelle et les lois de la conscience, entre le milieu social et les manifestations de la conscience, ce jour-là nous aurons les moyens de libérer l'homme, et en libérant l'homme, de nous libérer individuellement chacun »’ 634.

Et comme pour appliquer ce principe qu'il pose, il fera dans une autre intervention à Cheltenham la présentation de tests du caractère, bien qu'il relativise l'emploi du test quand il s'agit d'explorer le jugement moral d'un sujet car ‘« sa réponse purement verbale n'implique évidemment pas que sa conduite y aurait été conforme »’ 635... Ainsi avance-t-il, que l'étude du caractère à l'aide de tests exige de ‘« résoudre son unité en traits »’ 636, mais n'est-ce pas alors revenir à la description analytique de la nature humaine dont il reprochait par ailleurs le réductionnisme ? Une difficulté que le Docteur Vernon ne manque pas relever : ‘« il n'existe pas de procédés simples et clairs permettant de connaître le tempérament et le caractère »’ 637.

Notes
627.

« Le problème de la culture générale », P.E.N., n°81, octobre 1932, p. 241.

628.

Ibid.

629.

« Les rapports de la science avec la formation des personnalités libres », P.E.N., n°123, décembre 1936, p. 297.

630.

Id., p. 299.

631.

Id., p. 300.

632.

Ibid.

633.

Ibid.

634.

Id., p. 301.

635.

« La méthode des tests et l'étude du caractère », P.E.N., n°124, janvier 1937, p. 4.

636.

Ibid.

637.

« Quelques causes d'erreurs de tests mentaux », P.E.N., n°124, janvier 1937, p. 11.