Elite, démocratie et Education nouvelle

C'est pourquoi les partisans de l'Education nouvelle s'inquiètent devant le discrédit dont la démocratie peut faire l'objet, car l'extension des principes de la Ligue demeure subordonnée à l'implantation de la démocratie... Ainsi Frère667 souligne certaines phrases du prospectus de présentation du congrès de Paris annulé en 1939 : ‘« tous les adhérents de la L.I.E.N. restent convaincus que seules les sociétés démocratiques peuvent "créer le milieu qui convient aux applications des principes de l'Education nouvelle" »’ 668. Pourquoi alors la démocratie rencontre-t-elle certaines résistances ? Frère explique que ce qui oppose les partisans de la démocratie à leurs adversaires, c'est en réalité la question de l'élite, toujours inégalitaire pour les premiers, toujours indispensable à la survie générale pour les seconds. Mais en admettant ce dernier argument, ‘« à quels signes ’ ‘reconnaître l'élite’ ‘ politique d'une nation ? »’ 669 C'est alors que les réponses divergent, chaque classe sociale, chaque groupe, chaque caste se construisant une élite qui lui convienne... D'où la difficulté à parler d'élite au singulier.

Ce discours sur le non-sens d'une élite est nouveau pour l'Education nouvelle. Il est le résultat d'un choix politique, la démocratie, qui ne s'accommode pas de la formation d'une élite. Nombre d'écoles nouvelles qui se sont implantées au début du siècle avaient pourtant en vue la formation d'une élite. Un bon exemple est l'Ecole des Roches fondée par Edmond Demolins en 1899. Selon Bertier, son directeur, son but était de former les vrais chefs dont la société a besoin : ‘« nous donnons à l'éducation une fin sociale déterminée et nous cherchons passionnément à promouvoir les progrès de la société présente »’ 670. Bien souvent son école fut taxée d'élitisme et à Cheltenham, il se défend contre cette accusation : ‘« On a critiqué cette formation morale en lui reprochant d'être une éducation des chefs et à ne viser qu'à déceler et parachever une élite. C'est absolument faux »’ 671. Selon Bertier, la formation des chefs n'est pas élitiste tant que l'adulte éducateur ne décide pas lui-même de faire de l'enfant un chef, mais laisse la nature de l'enfant le devenir par elle-même, si ce dernier sait ‘« comprendre toutes les richesses dont son âme est pleine »’ 672.

Il faut aux fervents défenseurs de la démocratie, selon Frère, maintenir leur acte de foi en l'homme : ‘« tout être humain normal et adulte a, du seul fait qu'il est un homme, l'intelligence de toute situation humaine »’ 673. Weber poursuivra dans le même sens en affirmant que ‘« Réaliser l'idéal démocratique, ce sera donc travailler à faire passer cet acte de foi dans la réalité, à faire que chacun devienne effectivement ’ ‘une personne’ ‘, et non pas seulement un ’ ‘citoyen éclairé’ ‘ »’ 674. L'idéal démocratique répond à l'idéal de l'Education nouvelle par la foi commune des pédagogues nouveaux en l'éducabilité de l'homme. L'Education nouvelle a besoin de la démocratie comme la démocratie a besoin de l'Education nouvelle.

Notes
667.

Préfet honoraire d'Athénée.

668.

« L'idéal démocratique » (Rapport introductif au travail de la 1ère commission du congrès de Paris), P.E.N., n°149, août-septembre-octobre 1939, p. 195.

669.

Id., p. 196.

670.

« L'Ecole des Roches », P.E.N., n°72, novembre 1931, p. 246.

671.

« Allocution de M. Georges Bertier », art. cit., p. 242.

672.

Ibid.

673.

« L'idéal démocratique » (Rapport introductif au travail de la 1ère commission du congrès de Paris), art. cit., p. 195.

674.

« L'idéal démocratique », art. cit., p. 198.