Chapitre III
Religion et éducation morale

L'idée d'aborder ou de soutenir l'éducation morale par la religion est très ancienne dans la Ligue. En 1927 à Locarno, Wyneken faisait explicitement référence au protestantisme pour définir la liberté morale, et Alfred Adler rappelait que la religion, comme la nationalité ou la conscience sociale, constitue un auxiliaire de l'éducation au service du meilleur développement de l'enfant. Le psychanalyste Pfister ne concevait pas la liberté autrement que dans une ‘« subordination de toutes les forces psychiques à un idéal moral et religieux »’ 696... Il n'était alors pas ouvertement question de rejeter la religion dans les congrès de la Ligue, alors que simultanément dans les congrès d'Education morale, auxquels participaient activement certains pédagogues du mouvement697, surtout les Genevois et les Français, les discussions sur le fondement religieux ou laïque de l'éducation morale creusaient de profondes discordances698. Pour les tenants de l'Education nouvelle, ces congrès d'envergure internationale étaient aussi le moyen de diffuser les idées du mouvement et de faire connaître les écoles nouvelles. Ainsi, Ferrière aimait à rapporter dans les colonnes de la revue la popularité croissante que recevaient les idées de l'Education nouvelle. Mais petit à petit, dans la Ligue, et sous l'influence grandissante des Français, les positions évoluent et l'on conçoit de moins en moins l'association de la morale et de la religion dans l'éducation. A Cheltenham en 1936, les oppositions éclatent, et à partir de ce congrès, le mouvement d'Education nouvelle tout en renonçant à son internationalisme militant d'entre les deux guerres, s'oriente de plus en plus vers une laïcité de "bon aloi". Une laïcité qui, cependant, ne résume pas la position religieuse sur l'éducation morale dans la Ligue, une position dont Bovet peut être considéré comme le principal défenseur, même si Bertier, Katzaroff et Ghidionescu se sont manifestés eux aussi en faveur d'une éducation morale fondée sur la religion.

Notes
696.

« L'essence de la liberté à la lumière de la psychanalyse », congrès de Locarno, P.E.N., n°32, novembre 1927, p. 226.

697.

Le troisième congrès international d'Education morale eut lieu à Genève en 1922, il fut organisé par l'Institut Jean-Jacques Rousseau et présidé par Ferrière. Et c'est Piaget qui, en 1934, présidait le comité exécutif international des congrès d'Education morale, lors du sixième et dernier congrès international à Cracovie.

698.

Dès 1908 à Londres, lors du premier congrès international d'Education morale, il est question d'ériger une morale laïque au détriment d'une morale religieuse. De fervents défenseurs de la laïcité tels que Buisson, Boutroux ou Belot, au moment où s'opère la séparation de l'Eglise et de l'Etat en France, y plaident pour la démarcation de la morale par rapport à la religion. Des représentants du mouvement des écoles nouvelles, tels que Badley, Nunn, Brereton, Lietz, interviennent dans ce congrès sur les méthodes d'éducation morale mais sans prendre position sur cette question. Un peu plus tard, lors du second congrès en 1912 à La Haye, la virulence des débats est à son sommet comme le montre cette phrase du Chanoine Van Langendonck qui prend la défense de l'école confessionnelle : « Arrière l'école neutre, l'école nulle ! » (in Mémoires sur l'éducation morale présentés au Deuxième congrès international d'Education morale à La Haye, La Haye, Ed. Martinus Nijhoff, 1912, p. 51).