1. Le théosophisme originel

Aux débuts de la Ligue, il était ainsi beaucoup question d'associer Dieu à l'enfant, de le "diviniser", sans pour autant prendre parti pour une religion ou une autre, de voir dans l'enfant ce potentiel de création qui ne peut se développer de l'extérieur, mais qui pousse l'enfant à se développer par lui-même, et plus globalement participe à l'évolution de l'homme. Cette puissance créatrice était le signe d'un esprit, et les fondateurs de la Ligue dont certains étaient théosophes avaient tendance à associer cet esprit à Dieu. Pour un éducateur théosophe, Dieu est en l'enfant, et favoriser toute expression de l'enfant, c'est favoriser Dieu. Dieu est bon, les puissances créatrices de l'enfant sont donc bonnes : ‘« C'est parce que Dieu est en chaque enfant qu'il est possible de libérer l'énergie créatrice contenue en lui »’ 702. Mais celles-ci se manifestent de façon inharmonieuse, et la tâche de l'éducateur sera d'aider l'enfant à les contrôler. ‘« En tant que maîtres, dit Mrs Ensor, notre tâche consiste à libérer et à nourrir les forces divines qui sont dans l'enfant, de telle façon que, possédant en soi l'énergie, il en vienne à désirer la suprématie de l'esprit plutôt que celle de la matière et que, maître de sa propre âme, il s'avance sans crainte dans le monde, conscient de la Divinité qu'il porte en lui »’ 703.

Cependant, Béatrice Ensor n'est pas seule à porter la bannière théosophique, Ferrière affirme volontiers que l'enfant recèle une divinité en lui : ‘« Tant que nous n'aurons pas converti les éducateurs publics et les parents du monde entier qu'il faut libérer l'esprit divin de l'enfant par une éducation fondée sur la science et le bon sens, il restera pour nous de la besogne »’ 704, déclare-t-il en 1925. Il ne faut pas perdre de vue, écrit-il en commentaire d'un ouvrage, que ‘« c'est Dieu dans l'homme que nous servons »’ 705... Ferrière tient à cette dernière idée et il s'explique : ‘« nous estimons que c'est travailler directement à constituer une ère nouvelle, que de revenir résolument à l'idée centrale de Jésus : servir Dieu dans l'homme »’ 706. Il ne faut pas entendre cette conviction de Ferrière comme un acte de foi chrétienne, Ferrière ne veut pas prendre position en ce domaine, toutes les vues sont "bonnes en elles-mêmes". Il tient à ménager les spiritualistes, chrétiens ou libre-penseurs qui se rejoignent dans la Ligue pour ‘« vouloir une éducation qui mette leurs enfants en contact avec Dieu ou avec le "sens divin" »’ 707, mais une éducation éclairée par la science...

C'est en définitive, selon Elisabeth Rotten toute l'éducation, la conquête par soi-même de sa propre liberté, qui est un acte d'ordre religieux, parce qu'elle est une ‘« oeuvre de spiritualisation »’ 708. Les différences confessionnelles ne peuvent pas diviser les partisans de l'Education nouvelle puisque leur ‘« recherche commune du sens de la liberté en éducation est (aussi) d'ordre religieux »’ 709. Il n'est pas facile de démêler dans le théosophisme qui a cours dans la Ligue à ses débuts, la part à faire au théosophisme "pur" et la part à faire au spiritualisme. C'est cette dernière doctrine qui tend à s'imposer au détriment la première, sans doute renforcée par des options parfois un peu scientistes.

Notes
702.

B. Ensor, « Discours de clôture », congrès de Montreux, P.E.N., n°8, octobre 1923, p. 137.

703.

« Croisades dans le royaume de l'éducation », congrès d'Elseneur, P.E.N., n°51, octobre 1929, p. 221.

704.

« Chronique du congrès », congrès d'Heidelberg, P.E.N., n°17, octobre 1925, p. 49.

705.

« Livres » (Servir de Paul Doumergue), P.E.N., n°53, décembre 1929, p. 304.

706.

Ibid.

707.

Ibid.

708.

« Liberté et limitation », congrès de Locarno, P.E.N., n°31, septembre-octobre 1927, p. 180.

709.

Ibid.