La psychologie, un choix théorique

L'erreur pour l'éducation serait d'opter pour une orientation sociopolitique. Devenue moyen de construction sociale, elle ne pourrait plus servir le développement individuel de l'enfant. Bovet ne se départit jamais d'une position psychologique franchement établie qui, selon lui, distingue et "sauve" l'éducation du dressage : ‘« En face de ’ ‘l'éducation’ ‘ qui vise (pour le bien de la communauté) au développement ’ ‘optimum’ ‘ de la personne, il y a le ’ ‘dressage’ ‘ pour lequel une collectivité (Etat, parti, race, classe) est une fin en soi »’ 751. L'épanouissement de la personne participe "après-coup" à la réalisation d'une véritable communauté sociale. Bovet soutient comme les psychopédagogues du mouvement que vouloir prioritairement le bien de l'individu fera le bien de la communauté en général, tandis que viser d'abord le bien d'une société particulière ne fera pas le bien de l'individu. C'est se tromper d'objet et courir à l'échec que d'assigner ce rôle à l'école.

Fort de cette conception psychopédagogique, Bovet complète à sa manière la théorie bergsonnienne : ‘« Bergson l'a bien indiqué : aux deux morales, et aux deux religions, de la société close et de la société ouverte, correspondent deux pédagogies aussi »’ 752. Mais s'il est difficile de se mettre d'accord sur le choix d'une pédagogie, du moins peut-on admettre plus aisément que l'éducation ne vise qu'un seul but, ‘« l'épanouissement de la personne »’ 753, et ce, quelle qu'en soit la forme, éducation physique, ou intellectuelle, ou morale, ou sociale, ou encore artistique. L'éducation religieuse n'échappe pas à cette règle et son but est de ‘« favoriser l'épanouissement du sentiment religieux »’ 754. C'est, selon Bovet, un fait établi que l'enfant porte en lui des ‘« besoins religieux »’ 755 qu'il cherche naturellement à satisfaire. Mais, ne nous y trompons pas, Bovet observe une certaine parenté entre les différentes formes d'éducation, et l'éducation religieuse risque comme les autres de n'être qu'un dressage lorsqu'elle se réduit à "éduquer" le comportement conforme à certaines habitudes d'un groupe social et qu'elle ne répond pas à un besoin religieux. Il faut que l'éduqué soit demandeur. Il persiste dans les pratiques religieuses, concède Bovet, ‘« un dressage que l'on ne saurait éviter tout à fait »’, parce que l'éducation religieuse et l'éducation sociale ont en commun de s'appuyer sur un ‘« instinct grégaire »’, qui n'est pas en soi mauvais, mais qui ne constitue que la première étape du développement religieux756. En définitive, ce qui éloigne dans la conception bovétienne l'éducation du dressage, c'est une philosophie progressiste qui postule que le bien, ce qui doit être, n'est jamais le définitivement établi, ni le préétabli, mais au contraire ce qui "va être". C'est également l'ancrage génétique de cette conception, et que Bovet revendique, qui justifie l'idée héritée de l'évolutionnisme de Bergson d'une pédagogie "ouverte" : ce qui se réalise dans l'enfant n'est qu'une étape de son développement, un "mieux" est toujours "à venir".

Si la position de Bovet sur l'éducation porte la marque avouée de son attachement au protestantisme, il ne faut pas négliger un attachement plus explicite encore à la science psychologique, qu'il veut mettre à la base de toutes ses recherches, études et ouvrages. Ainsi, Le sentiment religieux et la psychologie de l'enfant, dont le titre à lui seul résume bien ce choix théorique, contient certaines mises en garde au début de l'ouvrage qui se transforment en repli scientifique ou silence prudent dans son appendice sur la notion de respect moral : ‘« Nous n'avons pas l'intention d'aller plus avant. La façon toute psychologique dont nous avons conçu notre sujet ne le réclame pas de nous »’ 757. Mais dans ce même ouvrage, il tient à préciser que les conclusions éducatives qu'il élabore ne sont pas directement tirées de ses études psychologiques : ‘« Je me suis placé là à un point de vue bien déterminé, celui d'un chrétien protestant, mais je n'ai pas cherché à y amener mes lecteurs »’ 758. Et juste avant de conclure, il fait part à son lecteur des références théoriques qu'il s'est choisies, ses « maîtres » Flournoy et Gourd, et de son intention, ‘« nous avons voulu faire, tout simplement, de la psychologie, c'est-à-dire, (...) oeuvre de science »’ 759. Cela est révélateur de la double position de Bovet sur la question morale et religieuse, celle d'un chrétien et d'un scientifique, qui fait toute son originalité au sein de la Ligue.

Notes
751.

Le sentiment religieux et la psychologie de l'enfant, op. cit., 1951, p. 107.

752.

Ibid.

753.

Ibid.

754.

Ibid.

755.

Ibid.

756.

Id., p. 108.

757.

« Le respect. Essai de psychologie morale » (Appendice), Le sentiment religieux et la psychologie de l'enfant, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1925, p. 145. La première présentation de cette étude s'est faite le 13 février 1913 à Neuchâtel.

758.

Le sentiment religieux et la psychologie de l'enfant, op. cit., 1925, p. 7.

759.

Le sentiment religieux et la psychologie de l'enfant, op. cit., 1951, p. 142.