Le non-sens d'une pédagogie chrétienne

Mais, jusqu'à présent, constate Bovet, l'Ecole active n'a pas réellement touché l'éducation religieuse. Pourquoi ? A cela deux raisons : d'une part ‘« Les chrétiens ne s'intéressent pas à l'éducation »’ 811, d'autre part ‘« L'homme nouveau n'est pas, pour le chrétien, l'aboutissement d'une éducation (de la vie naturelle), mais le point de départ d'une éducation (de la vie spirituelle) »’ 812. Tout à leur dogme de ‘« l'homme nouveau »’, de la régénération spirituelle de l'homme, les chrétiens manquent de confiance dans le potentiel qui dort en l'enfant. La tâche de l'éducateur ne peut pas être de régénérer l'enfant mais de l'élever, de le développer. Historiquement, l'éducation chrétienne s'est caractérisée par une pédagogie "négative", l'enfant étant réduit à ne rien faire puisque « Dieu fera tout »... Cette incompréhension manifeste du vrai sens de l'éducation est à l'origine de la critique qu'ont dû subir de grands éducateurs, tels que Pestalozzi, Foerster ou Baden-Powell, qui se voulaient pourtant ‘« de fermes soutiens de l'éducation chrétienne »’ 813.

Bovet s'interroge. Y a-t-il finalement une spécificité de l'éducation chrétienne ? Y a-t-il une pédagogie inspirée du christianisme ? La réponse est claire : non, il y a ‘« seulement une conception éclairée »’ 814 de la pédagogie par le christianisme. Son objet est la recherche de la vérité, en se fondant sur la connaissance des faits. De même, dire de la pédagogie, comme de l'économie ou de la médecine qu'elle est laïque, c'est ‘« faire une confusion d'idées »’ 815. Il n'y a pas de pédagogie tirée des Ecritures saintes, mais une « inspiration chrétienne » est possible et à l'oeuvre dans la pédagogie. Bovet instaure ici, comme il l'avait fait au sujet des sciences humaines, une distance "salutaire" entre la pédagogie et la religion, par crainte que la première ne devienne le moyen d'étendre la seconde. Naturellement la pédagogie dépend de savoirs apportés par les sciences humaines mais elle a des fins et des méthodes qui lui sont propres. Elle est un art.

Quelle méthode alors préconiser ? C'est là que les options de Bovet ont de quoi étonner.  Il y a sûrement mieux à faire, ironise-t-il, que d'attendre ‘« que les enfants dont nous avons la charge soient l'objet d'une grâce divine »’ 816... La position "activiste" de l'Education nouvelle est ici facilement reconnaissable. Mais, ajoute-t-il quelques lignes plus loin, ‘« Nous ne pouvons donner que ce que nous avons (...) ; donnons aux enfants (...) l'occasion d'admirer des individualités libres et libérées »’ 817. Autrement dit, si c'est bien la liberté que nous voulons pour l'enfant, il n'y a pas d'autre solution que dans l'exemple. Et si la liberté doit s'apprendre, cet apprentissage ne se réalise que dans une sorte de "contagion". D'où la nécessité pour le maître d'être lui-même une personnalité libérée. C'est ici un point central pour Bovet : l'exemple à suivre qu'incarne le maître admiré, ou le père aimé, n'est pas qu'un exemple à imiter mais il constitue une sorte d'idéal concrétisé nécessaire à l'enfant. Il lui faut un point de mire, quelque chose vers lequel tendre et quelqu'un à admirer.

Notes
811.

Id., p. 118.

812.

Id., p. 121.

813.

Id., p.  120.

814.

Id., p. 122

815.

Ibid.

816.

« L'éducation religieuse, facteur d'asservissement ou de libération », congrès de Cheltenham, art. cit., p. 262.

817.

Ibid.