Une nouvelle spontanéité

Dans ces conditions, le spontanéisme dont on taxe la majorité des pédagogies promues par L'Education nouvelle ne peut pas être une règle pédagogique pour Bovet, même s'il maintient que le sentiment religieux demeure dans son développement une manifestation spontanée chez l'enfant. Il annonce ainsi comme une évidence que tous les éducateurs s'accordent pour dire que l'enfant n'est pas bon tel qu'il est, mais que l'intention de l'élever nécessite de faire appel à ce qu'il y a de bon en lui : ‘« L'enfant tel qu'il se présente à eux n'est pas bon. Le mal, au moins virtuel, le guette. L'éducation consiste à prévenir ce mal, ou à l'extirper »’ 839. L'enfant naturel n'est ni bon ni mauvais, il est capable de ce qui est bien comme de ce qui est mal. Il est amoral, aurait dit Rousseau. Néanmoins, et c'est la conviction de Bovet, le sentiment religieux est présent en l'enfant...

L'instinct combatif n'est pas non plus mauvais en soi. Il est ce sur quoi l'éducateur peut s'appuyer pour transformer ce qui est "mal" en "bien". C'est par sublimation que ce processus s'effectue de la façon la plus positive. La sublimation est le détournement de l'instinct combatif, et de sa force d'action vers le bien, vers un idéal élevé moral ou religieux. Il s'agit moins de faire passer l'enfant d'un état jugé "mauvais" à un état dit "moral", que de transformer ses forces vives et instinctives, d'un état d'amoralité vers un état moral, qui lui dirait de l'intérieur comment utiliser ses forces vives à "quelque chose de bon". Car, c'est la certitude de Bovet, la force de faire le bien est déjà en l'enfant...

Le pédagogue doit dans ce domaine particulier se donner le droit d'intervenir et ne pas laisser l'enfant à lui-même. ‘« Et d'abord, de l'universalité et de la spontanéité du génie religieux de l'enfant, nous ne conclurons pas que nous devions laisser l'enfant à lui-même, et nous abstenir d'intervenir d'aucune manière à cet aspect de son développement »’ 840. Sans doute Bovet se distingue-t-il d'une idée chère à l'Education nouvelle quand elle parle d'éducation "en général", mais quand il est question d'éducation religieuse, s'empêcher d'intervenir est d'un grand risque pour le développement religieux de l'enfant : ‘« Prendra-t-on des précautions pour que l'enfant croisse à l'abri de toute influence dans ce domaine ? On ne fera que retarder son développement, ou (...) l'arrêter à une étape inférieure »’ 841. Le développement religieux de l'enfant dépend en grande partie de l'intervention de l'éducateur.

Pourquoi ? Bovet s'explique : c'est que le sentiment religieux, même s'il est de nature instinctive, diffère des autres instincts de la nature humaine. ‘« Si le caractère, pour ainsi dire instinctif, du sentiment religieux n'exclut pas, à notre avis, une éducation concertée dans ce domaine, il commande, nous paraît-il, de donner cette éducation dans un esprit assez différent de celui qui la dirige habituellement »’ 842. Il ne s'agit évidemment pas d'assimiler intervention et contrainte mais de s'attacher à conduire l'enfant dans ‘« la voie royale de la liberté »’ 843. On retrouve ici ce que Bovet disait au congrès de Locarno en réaction aux discours trop unifiés par la gloire de l'éducation à la liberté, voulant rappeler que la liberté n'est pas une fin pour l'éducation mais un moyen nécessaire, imposé par la nature de l'enfant. C'est l'incessant débat entre la part à faire à la liberté et à la contrainte en éducation qui réapparaît, et prévient Bovet, « Cela n'ira pas tout seul »844...

Notes
839.

Le sentiment religieux et la psychologie de l'enfant, op. cit., 1951, p. 145.

840.

Id., p. 92.

841.

Id., p. 93.

842.

Id., p. 94.

843.

Id., p. 95.

844.

Ibid.