Les paradoxes

A Cheltenham, Bovet admet l'existence de nombreuses définitions de la religion. Mais pour lui, le problème ne se situe pas à cet endroit puisqu'il déplace la discussion sur la spécificité de l'éducation religieuse dans un plan qui rompt avec les positions habituelles de l'Education nouvelle : ‘« Actuellement, l'accent est mis, d'une manière générale, sur l'activité de l'enfant : l'éducation intellectuelle, l'éducation artistique, des moyens d'expression, l'éducation morale, des responsabilités sociales. L'expérience religieuse, elle, est sur un autre plan ; elle ne nécessite pas une attitude active, mais une attitude réceptive »’ 853.

Les conceptions de Bovet sur l'éducation religieuse n'en soulèvent pas moins un problème d'ambiguïté. D'une part, comme nous l'avons vu, il déclare que l'éducation religieuse est une éducation comme les autres, tout en précisant aussitôt qu'elle ne se résume pas aux méthodes actives. Il faut, dans cette éducation, faire une place à l'enseignement, et en premier "faire connaître Dieu" à l'enfant. Une telle pédagogie s'éloigne considérablement des méthodes d'éducation nouvelle qui reposent sur l'idée d'une découverte par l'enfant, d'une construction autonome de son savoir. Mais cela ne suffit pas, il faut d'autre part et dans un second temps "faire aimer Dieu" à l'enfant. Et comment aimer Dieu sans s'y "entraîner", par l'exercice de la prière par exemple ? C'est alors que la pédagogie de Bovet rejoint les procédés de l'Ecole active.

Comment Bovet peut-il tout à la fois promouvoir une pédagogie active et y renoncer ? Comment Bovet sort-il de cette "paradoxalité" ? La connaissance de Dieu est particulière, explique Bovet, elle ne s'acquiert que dans le sentiment d'amour et ‘« La tâche principale de quiconque veut donner une instruction religieuse, c'est donc de "faire aimer". Faire connaître en faisant aimer »’ 854. Tout est dit. Cette spécificité de la connaissance de Dieu atténue le paradoxe relevé dans la conception bovétienne, par la définition d'une éducation religieuse à la fois parente et étrangère des autres éducations, et par l'élaboration d'une pédagogie religieuse à la fois proche et éloignée des méthodes d'éducation nouvelle.

Tout repose finalement dans la théorie bovétienne sur le concept de sublimation qu'il emprunte à la psychanalyse. Bovet remarque pour sa part que ‘« le concept de sublimation appartient moins à la psychologie qu'à la médecine et la pédagogie »’ 855. Il veut souligner la parenté de la pédagogie et de la médecine, une idée qui revient souvent sous la plume des tenants de l'Education nouvelle, mais aussi il veut se démarquer d'une certaine psychologie, et ceci en faveur de la psychanalyse. Pourquoi ce recul ? Bovet l'explique aussitôt, c'est que l'instinct combatif ‘« implique toujours un jugement de valeur - on peut même dire qu'il tend de plus en plus (...) à impliquer une appréciation morale »’ 856. La conviction de Bovet demeure qu'un instinct sublimé constituera une avancée morale, pour l'individu comme pour un groupe social, à la condition qu'elle soit associée à la religion. La religion, l'amour du bien, donne tout son sens à la sublimation, la lutte contre le mal. Morale et religion sont indissociables.

Notes
853.

« La religion, facteur de libération », in W. Rawson, op. cit., p. 66.

854.

Le sentiment religieux et la psychologie de l'enfant, op. cit., 1951, p. 138.

855.

L'instinct combatif, op. cit., p. 121.

856.

Id., pp. 121-122.