1. L'écueil de la métaphysique

Parce que métaphysique et science ne peuvent pas aller de pair, et parce que l'Education nouvelle a fait le choix dès sa création de la science et de la connaissance, la métaphysique demeure le risque majeur. En 1934, la revue de la Ligue diffusait un extrait de l'avant-propos d'un ouvrage de Wallon. S'il y constate une irréductible ‘« Anomie entre la réalité de l'être et ce qui nous en est connaissable »’ 859 qui doit maintenir l'homme dans une certaine modestie devant le savoir qu'il élabore, celle-ci ne doit pas pour autant le pousser vers la métaphysique mais l'inciter à réviser ses anciennes distinctions et catégories. Car ‘« où la métaphysique, éprise d'absolu et d'immobilité, oppose être et connaissance, essentiellement relativiste, la science s'applique à tisser de nouveaux apports entre tous les systèmes dans lesquels se répartit notre expérience des choses et de la vie »’ 860. Et la religion n'appartient-elle pas au domaine métaphysique de l'inconnaissable ?

Ce n'est d'ailleurs pas un simple hasard si, en 1936, le texte d'une conférence861 de Gustave Monod est inséré dans la revue juste après ceux des intervenants à Cheltenham sur le symposium consacré à l'éducation religieuse... Monod y parle des dangers qui guettent la pédagogie et plaide pour un relativisme raisonné car, explique-t-il, ‘« En énonçant des principes - et comment éviter de le faire ? - nous ne perdrons pas de vue qu'ils ont à s'appliquer à des situations essentiellement changeantes »’ 862. Il précise un peu plus loin que ce sont ‘« les faits et les expériences qui importent »’ 863. Dès qu'on quitte le récit concret d'expériences pédagogiques, on s'égare dans « l'abstrait » et on s'aventure dans la ‘« métaphysique dangereuse »’ 864. C'est pourquoi il se méfie de cette sorte d'euphorie qui a cours en faveur des écoles nouvelles, mais il ne disconvient pas de la valeur de leurs méthodes actives notamment en ce qui concerne l'éducation morale, il préconise ainsi d' ‘« instituer pour les enfants ’ ‘un apprentissage effectif de la vie morale’ ‘, et pour cela de les faire participer à une activité sociale positive »’ 865.

Le reproche de Monod rejoint avec exactitude celui de Wallon à Cheltenham qui voit lui aussi un danger dans ce qu'il appelle les ‘« réalités inconnaissables »’ 866 de certaines "sciences" sur lesquelles s'appuient certains psychopédagogues quand ils parlent en termes d'impulsions et d'instincts. Pour Wallon, il ne s'agit là que de nouveaux déterminismes puisque ces notions restent absolument fermées à tout savoir, à toute tentative d'objectivation. Mais cette crainte de la métaphysique n'en finit pas de rebondir, et en 1954, sous la plume de Mme Seclet-Riou, elle prend une tournure très critique envers les fondateurs du mouvement : ‘« nous ne devons pas ignorer les éléments métaphysiques sur lesquels souvent s'édifia la discipline propre des écoles nouvelles à leurs débuts. A ces interprétations métaphysiques des capacités mentales de l'enfant se rattachent les thèses affirmant la primauté de l'enfant dans l'oeuvre éducative, l'importance centrale de son individualité, la croyance qu'il est capable seul d'être le créateur de sa propre liberté, etc... Ces préjugés métaphysiques sur la mentalité enfantine ont souvent conduit l'éducation nouvelle à des échecs, dont le plus typique et le plus retentissant fut celui des écoles de Hambourg »’ 867. L'Education nouvelle s'est leurrée elle-même sur ce qu'elle croyait être la liberté et la spontanéité de l'enfant, et cela lui a valu des échecs cuisants, allant même jusqu'à briser le lien social qu'elle voulait constituer. Mais si elle se décide à faire le choix raisonné de la science, si elle se décide à comprendre l'enfant non à travers ‘« le mythe de la liberté de l'enfant »’ et ‘« l'adoration de sa "spontanéité" »’ 868, mais comme un être inséré dans son environnement dès sa naissance, alors elle pourra prétendre le connaître, et elle constatera que ‘« ce qui modèle jour après jour la conscience de l'enfant, c'est le reflet du monde dans lequel il vit »’ 869.

Notes
859.

« Les origines du caractère chez l'enfant », P.E.N., n°98, juin 1934, p. 136.

860.

Ibid.

861.

Conférence qui fut présentée au cours du congrès national français au Havre en avril 1936, sous la présidence de M. Chatelet, recteur de l'Académie de Lille. Il avait pour thème l'organisation de l'Enseignement du second degré. (Voir P.E.N., n°109, juillet 1936).

862.

« Le problème de l'Education dans l'enseignement du second degré », P.E.N., n°122, novembre 1936, p. 274.

863.

Ibid.

864.

Ibid.

865.

Ibid.

866.

« Les rapports de la science avec la formation des personnalités libres », P.E.N., n°123, décembre 1936, p. 300.

867.

« Quelques réflexions sur la discipline », P.E.N., n°15, 1er et 2ème trimestres 1954, p. 27.

868.

Id., p. 24.

869.

Id., p. 28.