La laïcité

Le congrès de Paris de 1946 est particulièrement révélateur de cette évolution manifeste. Mme Seclet-Riou dresse le rapport général du congrès et renoue avec une conviction chère aux fondateurs de la Ligue en 1921, en soulignant l'importance que doit jouer l'éducation dans la préservation de la paix future. Les circonstances d'après-guerre sont similaires, et l'idée d'un "salut" par l'éducation est le même. C'est en résumé, dit-elle, ce qui fait l' « unité d'idéal »890 de l'Education nouvelle depuis toujours. L'école n'a pas à faire les choix politiques qui assurent la paix, cette responsabilité incombe au citoyen, mais sa responsabilité est de préparer la paix de demain : ‘« Les éducateurs ne sont pas aujourd'hui les maîtres de la marche du monde. (...) Mais ils orientent l'avenir humain »’ 891. La solution est dans l'édification d'une école plus démocratique, il faut donc ‘« unifier dans un seul enseignement l'école populaire et l'école bourgeoise »’ 892. Qu'est-ce qu'une école démocratique ? C'est l'école capable de sauvegarder la nature de l'enfant pour le plus grand bienfait de la société tout entière893. ‘« Il faut que tout enfant puisse se développer au maximum, sans trouver d'autres imitations que celles que pose sa propre nature. La société n'a pas le droit de laisser perdre ses trésors de force, d'intelligence, d'habileté, qui, développés, profiteront autant au groupe qu'à l'individu »’ 894. Selon Mme Seclet-Riou, une éducation nouvelle démocratisée, par le fait même qu'elle annule le dilemme entre l'épanouissement de l'individu et la construction sociale, ne peut faire que l'unanimité. De même l'Education nouvelle ne s'est jamais départie d'un ‘« effort de compréhension raisonnée de l'enfant »’ 895 qu'elle est allée chercher dans la science, la médecine, la physiologie, la sociologie ou la psychologie.

Cependant, s'il y a bien confluence dans le choix d'un idéal ou dans les fondements théoriques, il ne faut pas oublier ‘« des divergences sur des questions importantes »’ 896, ainsi le problème de l'enseignement confessionnel que le congrès de Bryanston avait ‘« accessoirement abordé »’ 897. La seule question est alors de savoir si un enseignement confessionnel, intrinsèquement doctrinal, est conciliable avec l'Education nouvelle dans son principe.

Pour Mme Seclet-Riou, il ne l'est pas. ‘« Cette transmission par l'éducateur d'une doctrine précise et souvent dogmatique repose sur l'idée que ’ ‘notre’ ‘ vérité, dans un domaine qui est celui de l'opinion et de l'indémontrable, doit être aussi celle de nos descendants. Cette foi, en nous-mêmes, cette croyance en une vérité indépendante du temps et de l'évolution justifie le ’ ‘droit’ ‘ de l'adulte à imposer à l'enfant une doctrine qui doit orienter, régler, dominer sa vie »’ 898. Pas plus qu'elle ne peut retenir une forme d'enseignement qui s'appuie sur des vérités « indémontrables » et non scientifiques, l'Education nouvelle ne peut adopter ces vérités dont l'immuabilité en justifierait la transmission d'une génération à une autre.

Même si la morale pratique, divulguée dans l'enseignement confessionnel n'est pas très éloignée de la morale d'un enseignement non confessionnel, le danger réside justement dans une confusion possible entre les moyens d'une réelle éducation morale et les buts qu'elle vise. La morale ne peut s'imposer de l'extérieur d'une manière dogmatique : ‘« On affecte de confondre cette transmission autoritaire des principes d'une confession donnée avec l'éducation morale »’ 899. Et Mme Seclet-Riou pose la question essentielle pour l'Education nouvelle : ‘« l'enseignement d'une doctrine répond-il à un besoin de l'enfant ? »’ 900. Il n'y a pas, conclura-t-elle, d'enseignement doctrinal possible ‘« sans aller contre les lois du développement psychologique de l'enfant, sans méconnaître, sans forcer, déformer sa nature »’ 901.

L'enseignement confessionnel, toujours doctrinal qui veut imposer "sa" vérité à l'enfant, toujours dogmatique qui ne respecte pas la nature de l'enfant, toujours antidémocratique parce que réservé à une élite, ne peut recevoir l'assentiment de l'Education nouvelle et semble plus ‘« dans la logique d'un enseignement laïc que d'un enseignement confessionnel »’ 902.

Notes
890.

« Rapport général », P.E.N., n°2-3-4, novembre-décembre 1946 et janvier 1947, p. 128.

891.

Id., p. 129.

892.

Ibid.

893.

Cette conception rejoint celle d'A. Fabre dans son explicitation de l'acte moral au troisième congrès du Groupe Français d'Education Nouvelle à Paris en juillet 1952 : « L'acte moral provoque à la fois la complète définition de l'individu et sa parfaite adaptation au milieu social » (in « L'éducation morale », P.E.N., n°11-12, 4ème trimestre 1952 et 1er trimestre 1953, p. 29).

894.

« Rapport général », art. cit., p. 129.

895.

Ibid.

896.

Id., p. 130.

897.

Ibid.

898.

Id., p. 131.

899.

Ibid.

900.

Ibid.

901.

Ibid.

902.

Id., p. 132.