Le droit de transmettre sa foi religieuse

D'ailleurs, pourquoi autoriser à la religion ce qu'on hésite à accorder à la politique ou à l'économie ? Pourquoi craindre plus l'endoctrinement politique que l'endoctrinement religieux ? C'était l'interrogation de Washburne à Cheltenham. Religion ou politique, le problème est le même et ne peut se résoudre que par la pluralité. Il n'accepterait l'idée d'un enseignement religieux à l'école qu'à la condition d' ‘« exposer aux enfants les diverses opinions religieuses sincèrement professées et ensuite leur permettre de les discuter librement et de se faire une idée personnelle à leur égard »’ 903. Ni les parents, ni les maîtres ne peuvent transmettre leur foi, ce qui semble être pour Washburne l'équivalent d'un endoctrinement. Mieux que la neutralité, la pluralité des présentations de la religion serait le meilleur garant contre cet endoctrinement, et plusieurs personnes seraient ainsi autorisées à ‘« exposer leur credo à la classe »’ 904.

Pas plus qu'on a le droit d'imposer une conviction politique, on a le droit de transmettre une opinion religieuse à des enfants. C'est aussi la conviction de Freinet à Cheltenham. Mais personne ne peut empêcher les écoles communistes de pratiquer le communisme, ni les écoles chrétiennes de pratiquer la vraie religion de Jésus. ‘« Mais comment avoir le courage de parler aux enfants de Dieu, de religion et d'amour lorsque ces enfants demandent à manger et à avoir des chaussures ? »’ 905... Freinet veut souligner ici, et c'est son idée maîtresse, que la théorie ne commande pas la pratique, sur la question religieuse comme sur les autres. Il y a par contre des urgences matérielles qui imposent de créer un milieu nouveau ‘« dans lequel les individus puissent être moraux et où seraient peut-être réalisés la pensée du christianisme, le véritable christianisme et la véritable morale »’ 906.

De quel droit des parents peuvent-ils transmettre leur foi ? Du simple droit "naturel" qu'ils sont parents, répondra Bertier à Cheltenham, ils ont le droit ‘« d'élever leurs enfants dans leur propre religion »’ 907. Autrement dit, si on reconnaît aux parents le rôle d'éduquer leurs propres enfants, on ne peut leur refuser le droit de transmettre leur foi sans leur ôter le pouvoir d'éduquer leurs enfants... Wallon répondra qu'il ne voit pas de différence entre la transmission religieuse dont parle Bertier et l'endoctrinement. Il n'est plus question alors de former des personnalités libres... Evidemment les débats à Cheltenham dans le symposium consacré à ‘« L'éducation religieuse, facteur d'asservissement ou de libération »’ ne trouvent pas, ne peuvent pas trouver de consensus dès lors qu'on est soit hostile soit favorable à la religion. Devant le problème de l'éducation religieuse et morale dans l'Education nouvelle, il n'y a qu'une solution, la neutralité qui prend la forme d'une alternative pédagogique : le "silence" de la laïcité, ne pas introduire la religion dans l'école, ou la "cacophonie" de la pluralité, informer l'enfant sur toutes les religions.

Qu'est-ce que la neutralité religieuse que plus d'un réclame à Cheltenham ? Pour Bovet, cette neutralité est commune aux "pro-religieux" comme à leurs opposants. Il ne pense pas qu'une éducation religieuse est libératrice par principe, et elle risque bien souvent de se réduire à l'endoctrinement. La réponse qu'il opposera finalement à ses détracteurs est bien simple : ce n'est pas l'éducation religieuse qui est libératrice mais la religion.

Notes
903.

« La religion, facteur de libération », in W. Rawson, op. cit., p. 61.

904.

Ibid.

905.

Ibid.

906.

Id., p. 63.

907.

Id., p. 61.