A. Nature et Education nouvelle

Historiquement, la question de la nature a vu le jour en même temps que naissait dans la philosophie grecque le questionnement de l'homme sur sa propre origine. L'idée de Nature a de ce fait connu une histoire plutôt mouvementée...

1. Une idée fédératrice ou un socle idéologique ?

Mais, la nature dont parlent les pédagogues de l'Education nouvelle n'est pas un concept d'ordre philosophique, dont ils chercheraient à saisir le sens immuable. C'est un concept avant tout fonctionnel, qui leur sert de slogan, de ralliement, et en même temps de support théorique et scientifique. En ce sens, ils ne peuvent pas en faire l'économie... Car ce concept se veut rassembleur. Et de congrès en congrès, comme nous avons pu le voir, il est particulièrement significatif d'un désir d'unité et, paradoxalement, il deviendra le foyer de divisions bien réelles. La nature dont parlent les pédagogues nouveaux ne peut être une dès lors que les présupposés qui la fondent sont à des extrémités les uns des autres.

Mais c'est une idée qui joue son rôle dans la Ligue, puisqu'elle permet aux discours dans l'Education nouvelle, diffusés lors des congrès ou dans la revue, de masquer un peu trop facilement des divisions pourtant présentes dès l'origine. En ce sens, on peut ajouter que l'idée de nature dans l'Education nouvelle est aussi un concept à fonction rhétorique. L'importance du discours comme moyen de propagande est incontestable dans la Ligue, en témoigne l'ampleur des congrès et de la revue. Selon Olivier Reboul908, c'est ici la caractéristique même de toute rhétorique depuis qu'elle existe, puisqu'il la définit comme art de persuader. Même si celle-ci se travestit au cours du XXème siècle sous l'influence du positivisme, même si le discours pédagogique qui a cours dans le mouvement se doit d'être scientifique...

Le message véhiculé par les pédagogues nouveaux, même s'il demeure hétérogène, ne se contente pas de présenter des théories d'ordre scientifique sur la nature enfantine, il est très souvent porté et soutenu par un idéal, d'ordre pédagogique et même politique, celui de la régénération de l'homme par une éducation renouvelée de l'enfant. C'est cet idéal qui mobilise les pédagogues nouveaux, bien plus que toutes les découvertes psychologiques qui sont présentées lors des congrès. En l'idée de nature prend racine l'idéologie du mouvement tout entier.

Selon Bernard Charlot, définir l'enfance à partir de l'idée de nature humaine est d'ailleurs une des caractéristiques de la pédagogie « idéologique », dont le plus grand travers est de mêler deux niveaux de réflexion : ce qui concerne la connaissance de l'enfant, sa réalité scientifiquement observée, et ce qui a trait à l'ordre de l'idéalité. L'Education nouvelle est victime de ses propres aspirations, elle ne parvient pas à séparer "ce qui fait" la nature enfantine de "ce qu'elle voudrait qu'elle soit". Bernard Charlot reproche aussi à la pédagogie « idéologique » de se fonder avec outrance sur des critères d'ordre philosophique et non dans la réalité sociale. Non seulement elle occulte ainsi les inégalités sociales, mais elle moralise toute l'éducation, remplaçant les modèles sociaux par des modèles éthiques et philosophiques de la nature humaine. Elle pense la nature humaine permanente et intemporelle mais elle ne met ainsi en valeur qu' ‘« un idéal social désocialisé »’ 909.

Notes
908.

La rhétorique, Paris, P.U.F., 1984, pp. 29-31.

909.

La mystification pédagogique, Paris, Petite bibliothèque Payot, 1976, p 74.