Ambiguïté de la nature

La référence à la nature n'est pas sans paradoxe. C'est la seconde difficulté du concept dans l'Education nouvelle : cette nature est double, à la fois état - ce que l'enfant est effectivement - et potentiel à actualiser - ce que l'enfant deviendra -. L'actualisation de la nature humaine constitue, selon Bernard Charlot, une autre caractéristique de toute pédagogie idéologique qu'on retrouve tant chez Platon que chez Rousseau : ‘« D'une façon générale, dans la pédagogie, l'éducation ne change pas l'homme, elle lui permet seulement de devenir ce qu'il est »’ 923. C'est bien parce que la pédagogie se développe sur fond d'idéologie qu'elle se fait culture de la nature humaine, autrement dit révélation de l'essence de l'homme en lui-même, et qu'elle se voit dans l'obligation de dédoubler la nature.

Si l'action éducative doit partir de la nature, le donné originel de l'enfant, c'est pour mieux y retourner, l'humanité. ‘« S'il est utile d'élever l'enfant pour ce qu'il sera dans l'avenir, il est d'abord nécessaire et légitime de l'élever pour lui, enfant qu'il est avec sa nature et ses droits d'enfant »’ 924. Il y a donc au delà des particularités naturelles et individuelles de l'enfant une nature humaine universelle à laquelle tous et chacun sont destinés. La nature représente à la fois ce qui était à l'origine et ce qui sera, elle se dédouble entre passé et futur, entre essence et devenir, et c'est là toute l'ambiguïté du concept dans l'Education nouvelle.

Dans L'éducation naturelle, Hubert Hannoun signale également l'ambiguïté de l'usage de ce concept en éducation, dont il recense soixante-douze contenus différents. L'idée de nature pour les éducateurs, en plus de se dédoubler entre potentialité à actualiser et état effectif, peut désigner tant l'état originel des êtres et des choses que leur essence permanente, elle est capable par ailleurs de recouvrir aussi bien la nature singulière de l'enfant que la nature humaine universelle 925. Finalement, explique Hannoun, la nature ‘« n'est pas seulement ce qui est, essentiellement et originellement, mais encore ce qui est bien ou ce qui est mal. Et c'est là aussi une autre source d'ambiguïté de son contenu »’ 926. On retrouve chez les pédagogues nouveaux l'hésitation de ces tendances bilatérales et significatives de l'idée de la nature, sauf pour le dernier point où il ne fait aucun doute que la nature est vue de manière positive et donc qu'elle constitue le modèle à suivre.

Dans son analyse des discours sur l'éducation, Olivier Reboul synthétise la position des éducateurs : ‘« Ceux qui admettent la nature l'entendent de deux manières. Pour les humanistes, il s'agit de traits universels et invariables de l'être humain, à la fois fondements et fins de l'éducation. Pour les novateurs, il s'agit du développement singulier et spontané de chaque être humain »’ 927. La nature humaine est certainement un concept dualiste, elle est capable en ce qui concerne l'Education nouvelle d'unir les contraires, elle reste alors empreinte d'un "spontanéisme à toute épreuve" et qui fait l'unanimité.

Notes
923.

La mystification pédagogique, op. cit., p 50.

924.

A. Ehm, L'Education Nouvelle, Paris, Alsatia, 1938, p. 36.

925.

In L'éducation naturelle, Paris, P.U.F., 1979, pp. 13-25.

926.

Id., p. 21.

927.

Le langage de l'éducation, Paris, P.U.F., 1984, pp. 71-72.