4. La liberté comme libération de la nature

Finalement, si on tente de faire abstraction des polémiques qui gravitent autour du mot liberté dans la Ligue et qu'on essaie de dégager des textes des congrès un substrat commun, on s'aperçoit que la liberté est le plus souvent comprise dans le sens de libération, c'est-à-dire d'un processus engagé vers la liberté par l'éducation.

Le thème de la libération des énergies créatrices en l'enfant est prépondérant aux débuts du mouvement. Et selon leurs présupposés scientifiques, les pédagogues nouveaux conçoivent la "matière" de ces énergies de manières diverses. Sur ce point, l'influence des sciences humaines a fait plus que servir de fondement scientifique, elle a aussi alimenté ce thème de la libération en faisant la démonstration que certaines potentialités en l'enfant demeuraient captives. C'est de cette manière que l'idée de libération s'impose dans la Ligue.

L'enfant possède donc une nature "prisonnière" que l'éducation a pour tâche de libérer. ‘« La véritable éducation nouvelle consiste à aller tout d'abord à la découverte de l'enfant et à réaliser sa libération »’ 1089, dira Maria Montessori. C'est d'ailleurs pour atténuer les difficultés d'emploi du mot liberté, que Ferrière propose la solution de la libération : ‘« Dès lors ne faut-il pas substituer au mot "liberté" celui de "libération" ? Je le pense. Cela lève toute équivoque. La liberté en soi est un mythe, mais la libération est un acte. (...) il coïncide avec le mot "éducation" - ’ ‘ex ducere’ ‘ - et, mieux encore, avec le verbe "élever"»’ 1090.

Une libération qui reste conditionnée par la "non-corruption" d'une nature saine, seul ‘« l'enfant sain désire spontanément ce qui conserve et accroît sa santé physique et psychique »’ 1091. Ceci peut expliquer pourquoi, dans l'Education nouvelle, la notion de liberté se cantonne très souvent à un moyen pédagogique, à une apparence de liberté dans le laisser-croître, ou le laisser-agir, ou encore le laisser-faire, par le primat d'une pédagogie de l'action et de l'expérience. Elle croit libérer l'enfant en libérant son activité. Liberté d'action devient synonyme de liberté "tout court". En encourageant l'activité de l'enfant, les pédagogues nouveaux croient aussi pouvoir développer des personnalités moralement libres. Mais, la liberté ne réside pas dans la possibilité ou non d'agir, ce qui la maintiendrait dans l'ordre de l'action et du pouvoir, mais dans l'intention qui a précédé l'acte, dans le vouloir, dans l'option en bien ou en mal prise sur ce vouloir. La liberté concerne avant tout la personne "morale". Et cela, à moins de forcer l'âme de l'enfant, est tâche impossible pour l'éducateur. En éducation morale, plus qu'en aucun autre domaine, l'éducateur échouera toujours à vérifier "l'efficacité" de son action...

Notes
1089.

L'enfant, Paris, Desclée de Brouwer, 1992, p. 93.

1090.

La liberté de l'enfant à l'Ecole Active, Bruxelles, Lamertin, 1928, p. 17.

1091.

A. Ferrière, « Une république d'enfants : l'Odenwald », P.E.N., n°7, juillet 1923, p. 58.