De la moralité à la liberté

Ainsi, les pédagogues nouveaux ont su démontrer que le problème de l'éducation morale est prioritairement un problème de liberté, mais ils ont cru qu'il suffisait d'introduire la liberté dans leurs systèmes pour que la moralité se développe à des degrés très variables comme nous avons pu le voir. Si l'Education nouvelle s'est divisée sur le problème de l'éducation morale, les pédagogues se rejoignent cependant pour établir une sorte de continuité entre nature et moralité. Ils postulent de cette manière que la liberté est le moyen de "moraliser" l'enfant, tout en préservant sa nature, comme pour dire qu'il suffit de suivre la spontanéité de l'enfant pour favoriser sa moralisation. L'Education nouvelle adopte alors un naturalisme de principe qui va à l'encontre même de son intention de faire accéder librement l'enfant à la moralité. L'éducation est incapable de "fabriquer" de la liberté, tout au plus peut-elle "rendre la liberté possible".

Fallait-il comprendre par là que la nature est le seul bien à préserver ? Suffit-il d'aider la nature la nature de l'enfant à suivre le cours de son développement pour qu'il se moralise ? La question morale dans l'Education nouvelle n'est pas posée : la moralité ne peut pas émerger du respect de la nature de l'enfant, quelque soit le degré de liberté qu'on lui accorde. La liberté ne peut pas être la condition ni de son épanouissement naturel, ni de son développement moral. La liberté doit rester une finalité pour l'éducation.

Par sa volonté de réaliser la liberté par le respect de la nature de l'enfant, l'Education nouvelle a cru voir dans les manifestations spontanées de l'enfant, autrement dit sa "nature", la source de sa "liberté", en faisant de la première la condition nécessaire à l'éclosion de la seconde. En réalité, elle ne fait que mettre à jour les lois de la nature enfantine, qu'elle a su rechercher scientifiquement, mais en reliant trop vite la notion de nature à celle de liberté. Dans ce schéma théorique, un "maillon" manque : la moralité, comprise comme état de prise de conscience de la liberté. L'erreur de l'Education nouvelle est d'avoir amalgamé la libre expression de la nature, ce qu'elle pouvait observer, avec la liberté morale qui est par définition inobservable, dans la mesure où elle est affaire d'intention.

Il y a bien cette nature qui est demandeuse de liberté et sur laquelle repose tout l'édifice de l'Education nouvelle, mais contrairement à ce que croit l'Education nouvelle, ‘« la liberté ne peut pas être au départ de l'éducation, elle doit être à l'arrivée »’ 1102. La nature, ce n'est jamais la liberté à l'état brut, il y faut une opération, un travail, pour que de la nature se dégage une nature "libérée". Et c'est bien l'éducation qui la fait naître.

Notes
1102.

A. Renard, La pédagogie et la philosophie de l'Ecole nouvelle d'après l'oeuvre d'Adolphe Ferrière, Paris, Ed. Ecole et Collège, 1941, p. 260.