L'éducation morale nécessaire et impossible

La question principale chez Kant réside alors dans le problème de relier éducation et liberté, et puisque la morale est l'expression de la liberté humaine, l'éducation morale devient éducation à la liberté. C'est d'ailleurs toute l'éducation qui est morale en elle-même. Mais, et c'est là tout le paradoxe, comment penser et réaliser une éducation morale qui permette la liberté de l'enfant ?

Il est manifeste, pour Kant, que le paradoxe de l'articulation entre morale et liberté est constitutif d'une éducation morale qui doit à la fois contraindre et libérer, qui est à la fois nécessaire et impossible. Elle est nécessaire, d'abord, parce que seule l'éducation - et l'éducation morale - doit permettre le passage de cet état de nature, de déterminisme, à celui d'humanité et de liberté. Elle est impossible, ensuite, parce que la morale ne s'enseigne pas, elle n'est pas affaire de savoir, il n'y a pas un objet spécifique de la morale, et que le "bien" et le "mal", la référence morale, ne s'apprennent pas. C'est donc à chacun de décider du sens de son action, l'éducation morale ne fait qu'éveiller une conscience.

Cependant, si l'homme a la perception intime du bien et du mal, il n'est pas pour autant moralisé. Il ne le sera que lorsqu'il sera capable d'agir en fonction de la loi morale, quand le respect pour la loi morale sera l'unique mobile de son action. ‘« Ainsi le respect pour la loi n'est pas un mobile pour la moralité, mais c'est la moralité même »’ 1111.... Et c'est là le but ultime de toute éducation.

La moralité nécessite toujours, selon Kant, un travail sur soi-même dont le but est de développer la conscience morale en dégageant de chaque acte l'intention. C'est à ce niveau que se constitue la moralité, par respect du devoir, de la loi morale en elle-même et par une réflexion libre et responsable. Selon Raymond Vancourt, Kant demeure persuadé que ‘« la moralité est fondamentalement affaire d'intention, et que ce caractère est à souligner avant tout autre »’ 1112.

La moralité, pour Kant, est affaire personnelle de conversion, de surgissement, elle se manifeste d'un seul coup, elle ne s'apprend pas progressivement. Comme l'explique Paul Moreau, ‘« aucune éducation ne peut produire la moralité ; il faut que surgisse, comme une conversion, c'est-à-dire dans un retournement, une décision qui ne peut évidemment relever que de l'intéressé »’ 1113. Elle diffère de la légalité, elle n'est pas obéissance à des règles extérieures et sociales, mais adhésion à la loi morale en elle-même, à la "forme" de la loi morale et non à son contenu. La morale n'a d'autres fins qu'elle-même, elle ne vise pas directement le bonheur qui appelle la satisfaction de besoins, mais vise l'humanité, qui veut le dépassement du donné naturel par l'éducation.

C'est pourquoi l'éducation est très liée à la possibilité de faire naître une liberté. Elle doit permettre à l'homme en s'appuyant sur la raison, de se détacher de la sensibilité et des déterminismes de la nature. Elle manifeste ainsi une rupture volontaire de l'homme avec sa nature.

Notes
1111.

Id., p. 80.

1112.

Kant, sa vie, son oeuvre, op. cit., p. 32.

1113.

L'éducation morale chez Kant, Paris, Cerf, 1988, p. 181.