L'Emile, un traité d'éducation morale

On conçoit dès lors la place de l'éducation, et de l'éducation morale, dans cet édifice où la liberté s'éduque sur la base de la perfectibilité naturelle. Cette perfectibilité proprement humaine, en soi ni bonne, ni mauvaise, serait d'abord, selon l'analyse d'Ernst Cassirer, ‘« une tendance et une destination fondamentales de la volonté »’ 1168 : l'homme est porté naturellement à se transformer. On comprend mieux dès lors que les fondements d'une éducation morale chez Rousseau soient la conscience et la raison. La conscience, comme source naturelle de la moralité, et la raison, comme son guide naturel. Mais il ne faut pas perdre de vue qu'au terme de cette éducation, volontés particulières et volonté générale auront à se concilier librement sous la direction de la raison.

On a fait de Rousseau le croyant en la bonté originelle de l'homme, là où les pédagogues nouveaux en sont restés les crédules. Le génie de Rousseau est d'avoir attribué le mal, non directement à l'homme, mais à la société humaine empirique. Faire de la société humaine et non de l'individu, le dépositaire de tout le mal, a permis de libérer l'homme de son joug naturel car ‘« il faut (au contraire) que l'homme devienne son propre sauveur, son créateur au sens moral du terme »’ 1169. On comprend désormais pourquoi Rousseau a isolé Emile de la société : ce n'est pas dans l'intention d'accorder le primat à l'individu mais dans celle d'éviter l'exemple de la corruption sociale, car Rousseau nie la valeur éducative de l'exemple.

Notes
1168.

Le problème Jean-Jacques Rousseau, op. cit., p. 92.

1169.

E. Cassirer, « L'unité chez Rousseau », in Pensée de Rousseau, op. cit., p. 51.