La double rupture

Jusque-là l'homme ne connaît pas encore de réelle liberté. Ce n'est que lorsqu'il se décide de sa pleine volonté à se prendre en mains, sur les "ruines" de sa nature animale et contre le "conformisme" social, qu'il prend le chemin de sa liberté. En tant qu' « oeuvre de soi-même », en tant que construction autonome de sa propre humanité sur la base de son perfectionnement moral, l'homme peut alors ressentir sa liberté : ‘« La moralité est, chez l'individu, le plus étroitement liée à sa nature animale et à ses relations sociales. Dans son essence cependant, elle repose totalement sur la liberté de ma volonté »’ 1215. Dans la volonté de ne pas se satisfaire de la simple jouissance de son animalité, ni d'accepter la fusion de son droit et de son devoir dans la socialité, l'homme s'ouvre librement à la moralité. Il s'agit d'une décision orientée dans le sens de son humanité dont il se fait désormais un devoir.

Décision à renouveler inlassablement, conquête perpétuelle d'un ennoblissement intérieur que chacun construira à la faveur d'une double rupture : rupture avec sa nature contre une société par trop mutilante mais dans le souvenir de sa liberté naturelle perdue, rupture contre la société mais avec des moyens puisés dans celle-ci et dans l'optique de la réalisation d'une nouvelle nature en soi. Dans la pensée de Pestalozzi, explique Michel Soëtard, ‘« la nature reste le fond sur lequel l'homme accomplit son humanité, elle continue à être la référence privilégiée. Elle n'est cependant plus le tout de l'homme : l'accès à la morale met désormais en oeuvre sa liberté (...). L'éducation, telle que Pestalozzi la comprendra, ne fera que mettre en oeuvre ce rapport dialectique entre nature, liberté et morale »’ 1216.

Notes
1215.

Id., p. 197.

1216.

« Commentaire » in Mes recherches sur la marche de la nature dans l'évolution du genre humain, op. cit., p. 222.