Une pédagogie morale communautaire

Confiant dans la nature humaine, Pestalozzi se défendait d'agir "de l'extérieur" par la contrainte ou l'introduction de règles, il lui fallait prioritairement créer "de l'intérieur" un esprit dans son établissement qui sache ‘« éveiller et vivifier en eux la force intérieure, l'amour de tout ce qui est juste et moral »’ 1235. La relation, fondement de la « pédagogie du coeur » que Pestalozzi met en place à Stans, relation de l'enfant avec l'éducateur, mais aussi relations des enfants entre eux, deviendra une sorte de révélateur. C'est dans le creuset d'une vie communautaire capable de créer ‘« l'esprit de simplicité d'une grande famille »’ 1236 que Pestalozzi pense toucher le coeur des enfants, les ouvrir à ce dont ils ne se savent pas encore capables : l'amour et la bienveillance. Le contact permanent des autres est propice à la moralisation des enfants. La position de l'éducateur est particulière dans cette communauté d'enfants à qui il consacre tout son temps et son affection, elle semble appeler chez les enfants leur volonté de devenir "autre", de se perfectionner pour un avenir meilleur : ‘« Ils sentaient que je les menais plus loin que les autres enfants ; ils reconnaissaient le lien étroit et vivant qui existait entre ma façon de les conduire et leur existence future »’ 1237. Les enfants accepteront d'être éduqués, ainsi que l'effort que cela leur demande à condition d'en comprendre la raison. C'est en ce sens que l'éducateur fera constamment appel à la moralité, à la volonté d'ennoblissement des enfants.

Le vécu quotidien dans le contact permanent des uns et des autres offre de multiples occasions d'aborder les notions morales du bien et du juste. Mettre des mots sur ce qu'ils ressentent est à ce moment particulièrement éclairant pour les enfants. Il faut leur parler, non du bien et du mal, qui restent des notions encore abstraites, mais de "ce qui est bien" et de "ce qui est mal". Il faut dans le dialogue et le jeu des questions et réponses éclairer leur intériorité, former la droiture de leur jugement qui donnera une direction à leur vie future. Pestalozzi se méfie des mots, qui ne devront jamais précéder mais suivre l'expérience vécue : ‘« avant de parler d'une vertu, je faisais précéder mes discours par le sentiment vécu de chaque vertu »’ 1238.

Ainsi le dévouement des enfants est constamment sollicité, soit pour aider à l'enseignement de plus jeunes ou de plus lents, soit encore pour aider d'autres enfants plus démunis. De telles expériences sont provoquées par Pestalozzi dans l'appel à la sensibilité des enfants pour qu'ils prennent la décision d'agir. A Stans, le grand nombre d'enfants n'est pas une entrave à leur croissance morale, au contraire il constitue un agent précieux de moralisation. Les enfants savent exactement ce que Pestalozzi attend d'eux. Il sollicite continuellement leur effort moral, qu'il sait possible comme le lui promettent les germes de bonté qui s'expriment dans leur sensibilité naturelle, leur compassion devant le malheur.

Notes
1235.

Id., p. 32.

1236.

Ibid.

1237.

Id., p. 34.

1238.

Id., p. 36.