C. Conclusion : Une éducation morale est-elle possible ?

Il reste que le mouvement de l'Education nouvelle s'est toujours caractérisé par l'élaboration de méthodes et de procédés, qu'il a toujours vécu de son opposition à l'éducation traditionnelle, dont il refusait le dogmatisme des méthodes. A tel point que Ferrière pense voir ‘« dans la guerre 1914-1918 l'aboutissement à la fois logique et absurde d'une éducation demeurée inchangée depuis la "scolastique" »’ 1242. Elle ne forme pas les hommes responsables dont la société a besoin. Elle a échoué, elle est même peut-être responsable du désastre social et moral, parce qu'elle n'a su ni suivre l'évolution historique ni s'adapter au progrès. L'Education nouvelle s'est donc aussi constituée comme moyen de lutte contre le mal le plus total que le monde venait de vivre, la guerre de 1914-1918. C'est ce que rappelle avec force Mrs Ensor à Cheltenham en 1936 : ‘« Rappelez-vous, je vous prie, que la Ligue fut fondée en 1915, en pleine guerre, et tout naturellement le point de départ de cette fondation ne fut pas tant de rénover l'éducation que le désir intense de quelques-uns d'entre nous de trouver un moyen d'éviter une nouvelle guerre, un ensemble de méthodes qui empêcheraient toute guerre à l'avenir »’ 1243. Elle redit de cette manière l'urgence d'agir dans le monde plus que jamais divisé. Sir Percy Nunn, à sa suite, dresse le bilan de vingt et une années de fonctionnement de la Ligue, et il s'interroge sur la prétention à la nouveauté du mouvement en concluant : ‘« Qu'est-ce donc que cette nouveauté ? A mes yeux, elle ressemble beaucoup à une révolte. (...) Je ne veux pas dire, cependant, que dans l'Education nouvelle tout provient d'une réaction contre ce qui est ou ce qui fut et de l'aspiration vers ce qui devrait être. (...) Contre quoi était dirigée cette révolte ? Eh bien ! sans nul doute, contre la mécanisation toujours croissante de la vie ; contre l'extension au domaine de la vie des méthodes industrielles de catégories physiques et chimiques’ 1244 ». Les circonstances historiques, les guerres, et socio-économiques, le matérialisme et le développement croissant, ne permettent plus à l'homme "d'être humain", elles constituent même tout ce qui peut figurer son malheur.

Cette réaction contre l'inadmissible est le point de départ qui a fait naître la volonté de changer quelque chose à la société, à l'école, à la société par l'école. ‘« Il faut bien s'imprégner de cette idée que la contribution la plus positive à la paix sociale réside dans l'éducation de l'enfant »’ 1245, dira Maria Montessori. Et selon John Dewey, ‘« Tous les réformateurs de l'école ont, depuis Rousseau, considéré l'éducation comme le meilleur moyen de régénérer la société »’ 1246 . Très souvent, chez les pédagogues, comme nous avons pu le voir, se profile un idéal de société démocratique, de paix internationale, de fraternité. C'est pourquoi Jean Houssaye désigne la plupart des pédagogues de l'Education nouvelle comme ‘« pédagogues de la fraternité »’ 1247, bien que leurs projets pédagogiques se distribuent dans différentes directions : le désir de transformation sociale, le désir d'être ensemble, ou encore d'agir ensemble.

Notes
1242.

D. Hameline, « L'histoire de l'éducation », article Education, Encyclopédie Universalis (corpus 7), Paris, 1989, p. 953.

1243.

« Séance d'ouverture. Allocution de Mrs Ensor », P.E.N., n°121, octobre 1936, pp. 228-229.

1244.

« Le XXIème anniversaire de la Ligue », P.E.N., n°121, octobre 1936, pp. 229-234.

1245.

Les étapes de l'éducation, Paris, Desclée de Brouwer, 1932, p. 2.

1246.

Les écoles de demain, Paris, Flammarion, 1930, p. 154.

1247.

Les valeurs à l'école, op. cit., p. 113.