La négation du mal

Puisque les tenants de l'Education nouvelle se sont solidarisés pour dénoncer les "méfaits" de l'école traditionnelle, pour la désigner comme la responsable de tout le mal, il n'est pas exagéré de dire que cette grande idée d'une éducation nouvelle doit d'abord sa naissance à la réalité du mal. Leur première initiative a donc été de s'en éloigner : les pédagogues nouveaux des premiers temps créent des écoles qui isolent presque complètement les enfants du monde social. Pourquoi privilégier cette distance d'avec le "mauvaise société", alors qu'ils destinent l'éducation à la régénération sociale dans son ensemble ? A cela, les pédagogues nouveaux donnent deux raisons : d'abord ils prennent le parti de "faire le bonheur" des enfants, et comment y parvenir dans un monde où le malheur est partout présent ? Ensuite, ils souhaitent construire à l'intérieur de l'école une "bonne société" qui devait préfigurer la société de demain, et comment y parvenir dans un monde qui n'augure rien de bon ? Il fallait rompre résolument avec la réalité.

Tout se construit alors autour de l'idée que l'éducation doit se fonder sur la préservation de la nature de l'enfant, là où le mal n'a pas sa place. C'est dans l'optique de sauvegarde du bien en l'enfant, et en conséquence de son éloignement d'avec le mal, que les pédagogues nouveaux décident qu'il doit être éduqué d'une manière complètement nouvelle : en liberté. Mais, l'éclairage de Kant nous a révélé que cette position, profondément naturaliste, n'est pas sans contradiction lorsqu'on vise un idéal de liberté pour l'enfant, et lorsqu'on veut réaliser son éducation morale. Dans sa volonté d'accomplir la liberté par le respect de la nature de l'enfant, l'Education nouvelle a amalgamé les deux notions de "nature" et de "liberté", en faisant de la première la condition nécessaire à l'éclosion de la seconde.

C'est sur la double invocation de la préservation de la nature de l'enfant et de l'épanouissement de sa liberté que les pédagogues nouveaux refusent tout affrontement avec le mal. Il n'est qu'à relire certains articles de Pour l'ère nouvelle pour s'en convaincre... Mais le problème reste de savoir si une éducation pensée comme préservation de la nature rend possible une éducation morale, comprise comme une éducation de la liberté. Ne faut-il pas au contraire, à l'instar de Rousseau et de Pestalozzi, penser cette éducation non pas de façon négative, mais comme une sollicitation impositive à un effort moral ? Dans un appel qui fait chaque fois signe à la liberté de l'enfant : Pestalozzi ne se substitue pas à la décision première de changer quelque chose, et à la volonté d'agir dans ce sens. L'enfant aura à opter, à choisir, à poser une intention devant son acte.