Université Lumière Lyon 2
Faculté de Géographie, Histoire, Histoire de l’Art et Tourisme
Géographie du bal en France
Diversité régionale. Production culturelle de l’espace local.Acteurs.
Thèse de doctorat en Géographie, aménagement et urbanisme
sous la direction de Jean-Pierre HOUSSEL
soutenue le 4 décembre 1998
devant un jury composé de :
Jean-Pierre HOUSSEL, professeur émérite à l’université Lyon 2
Jean-Paul DIRY, professeur à l’université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand)
Robert MARCONIS, professeur à l’université Toulouse II Le Mirail
Irène LEFORT, maître de conférence à l’université Lyon 2
André VANT, professeur à l’université Jean Monnet (Saint-Etienne)

Pour Rachel

Remerciements

Que tous les gens qui m’ont aidé dans cette étude soient remerciés, en particulier :

  • Messieurs Crépin et Pinault de la SACEM.
  • Messieurs Sigwalt, Garel, Legrand, Lartaud, Fischer, Crozat, Fontferrier, Deboulay et tous les autres membres d’orchestres, chefs, techniciens ou musiciens.
  • Francis Marchan.
  • Les organisateurs qui m’ont ouvert les portes de leur bals.
  • Mesdames Cannac et Boisset de la bibliothèque de l’UFR de géographie de l’Université du Mirail à Toulouse.
  • Rachel de Bonis, mesdames Anderlé et Doudelet.
  • Madame Duployer pour ses lumières en économie.
  • Messieurs Cassagne, rédacteur en chef, et Rollat, journaliste, de La République des Pyrénées.
  • Madame Le Bihan (Ouest-France) et la rédaction de Sud-Ouest-Pau.

Ainsi que tous ceux, souvent anonymes, qui ont manifesté de l’intérêt pour le thème et prodigué leurs encouragements.

Résumé – Présentation

La sortie au bal concerne chaque année 30 % des Français, le double dans plusieurs régions. A rebours d’une image désuète, cette activité bien vivante s’adapte aux mutations de la société et, avec 160 000 bals par an (1 pour 350 habitants), ne connait pas le déclin qu’on lui prête. Pour le géographe, ils se révèlent intéressants à deux titres. Avec une moyenne de 4,5 bals par commune et par an, ils jouent toujours un rôle important dans la structuration des relations spatiales et l’institution des territoires. Ils facilitent aussi l’observation de celles-ci, généralement difficile à mener de manière rigoureuse.

Avec cette préoccupation, l’étude utilise des données nombreuses de très bonne qualité (les relevés de la SACEM, Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique). Pour montrer la diversité de cette activité à quatre niveaux d’échelle, du national au local, ces données sont aussi variées; on y adjoint donc des informations fournies par deux enquêtes, l’une auprès d’orchestres, l’autre réalisée dans des bals, et enfin une observation plus générale sur environ deux cent bals. S’y ajoutent des informations fournies par des organismes officiels: Ministère de la Culture, INSEE (RGP, enquête sociale, Inventaire Communal). La densité de cette information permet des synthèses précises, sous forme de graphiques ou de typologies. Cela a conduit à la réalisation d’environ cent cinquante cartes dont une soixantaine ont été retenues dans l’étude.

Celle-ci remet en question un certain nombre de clichés tels que ceux d’un bal des jeunes, d’un bal exclusivement rural, d’un bal populaire en soulignant son rôle politique. L’étude privilégie cet angle d’observation afin de mettre en valeur des évolutions importantes dans la relation des communautés à leur territoire.

Elle fait apparaître le recul du modèle dominant (60 % de l’ensemble des manifestations), le bal public, bal ouvert hérité de la tradition républicaine. Très encadré par les autorités municipales dont il renforce la légitimité, il contribue à la cohérence de la collectivité localisée et donne à ses membres une forte visibilité de celle-ci. Il reste néanmoins déterminant sur de vastes portions du territoire: le Massif Central, le Sud, particulièrement le Sud-Ouest, mais aussi -bien que différent et plus rare- dans le centre des grandes agglomérations; d’une manière générale, c’est le cas partout où la relative stabilité de la population ces dernières décennies n’a pas modifié trop en profondeur les liens forts du groupe au territoire et où les autorités municipales gardent une légitimité importante.

En même temps, se développent rapidement de nouvelles formes de socialisation plus sélectives, adaptées aux modes de vie spécifiques des populations très mobiles de larges périphéries urbaines. En effet, les repas dansants y progressent au rythme de 2 à 4 % l’an. On assiste ainsi à une processus d’autonomisation des comportements dans ces espaces considérés jusqu’alors comme intermédiaires entre villes et campagnes. Leur situation n’est plus transitoire avant une consolidation; il s’agit bien d’une pérennisation.

Ces bals reposent sur des associations dont la légitimité n’est plus la même que celle des autorités municipales. Refusant la large mixité sociale qui caractérise les bals ouverts, elle pratiquent la sélection de leur clientèle et se ferment pour éviter toute intrusion indésirable et déqualifiante. Elles la recrutent dans un réseau installé sur une aire beaucoup plus vaste et mal définie, sinon par la distance. Elles refusent ainsi l’idée de l’institution symbolique d’un territoire local commun à tous ses habitants. Du bal républicain on évolue ainsi vers les loisirs, mais on voit même parfois s’ébaucher la constitution de communautés rêvées, utopiques, politiquement dangereuses.

L’ampleur de ces évolutions, surtout dans le nord et l’est du pays, montre que la déstructuration des liens spatiaux, sociaux et politiques est bien plus avancée qu’on le croit généralement.

En même temps, les espaces ruraux isolés en difficulté développent une forme propre de repas dansants adaptée à leur situation démographique qui cependant se rapproche des bals publics par leur logique républicaine. Mais il s’agit-là d’un repli vers une communauté protectrice qui révèle surtout sa fragilité et laisse planer un doute sur son avenir.

Dans tous ces bals, on fait apparaître le rôle déterminant de certains groupes peu nombreux dont l’influence est due à leur prestige renforcé par la capacité à structurer les sociétés locales par le biais de l’organisation de tels événements.

On semble donc basculer:

  • d’une légitimité à caractère politique vers une privatisation
  • d’une structuration des groupes territorialisés selon une logique spatiale à des logiques plus sociales et électives, voire ségrégatives
  • du citoyen au consommateur et même au fidèle
  • de l’élu représentant une communauté à un pourvoyeur de service quand ce n’est pas un leader charismatique
  • d’une fête mythique car refondatrice à l’utopie, au rêve greffé sur un espace réel indistinct, dénué de signification symbolique territoriale.