2-4 La SACEM

La Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique est chargée par ses membres, les artistes, de collecter les droits d'auteurs sur la diffusion de musique. Ceux-ci génèrent des sommes considérables (3,3 milliards de francs en 1997), en hausse régulière : à titre de comparaison ces perceptions n’étaient que de 2 milliards 345 millions de francs en 1990. Une gestion rigoureuse, bien que parfois critiquée, lui permet de disposer d'informations de premier ordre.

Ces droits sont en effet calculés en fonction du chiffre d'affaire de la manifestation où la musique a été diffusée. Ils sont collectés par un réseau de 95 délégations régionales (99 en 1985, 97 en 1991), relayées par 9 directions régionales plus vastes (carte 1). On comprend l'intérêt de disposer des résultats de chacune de ces entités territoriales. Sont donc ainsi disponibles 108 les montants des perceptions pour chacune des catégories de bals mais aussi le nombre de séances ou d’autres informations telles que la présence ou non d'orchestres, la qualité juridique des organisateurs ; s’y ajoutent des informations de même type sur un certain nombre d’autres manifestations relevant aussi de la culture populaire : une foule d'indications qui permettent de distinguer des comportements régionaux très caractérisés et constituent la base de l’étude qui s’appuie en général sur ce découpage territorial.

Les données utilisées dans cette étude sont essentiellement celles de l’année 1995. Elles sont mises en perspective avec celle de 1991. Sont également utilisées des données antérieures mais plus rares. Enfin, dans la mesure du possible, quelques données de 1997 sont utilisées mais pas de manière systématique vu le caractère tardif de leur compilation à Neuilly-sur-Seine, siège de la SACEM.

On doit comme toujours s’interroger sur la fiabilité des données : reconnaissons qu’elles se veulent exhaustives et à ce titre sont plus intéressantes que celles fournies par les enquêtes, toujours sujettes à caution du fait d’extrapolation à partir de sondages. Mais, malgré son sérieux, la SACEM est une société privée et n’a pas toujours le prestige qui s’attache à des organismes d’Etat disposant de moyens coercitifs et a priori plus désintéressés. Des accusations récurrentes de fraude pèsent sur elle : depuis 1991, deux auteurs-compositeurs contestent devant la justice les relevés d’écoutes de la SACEM dans les discothèques. Ils s’estiment lésés par les méthodes de perception et de répartition des droits d’auteur. Plus grave, ils estiment que la Société aurait falsifié certains documents, en aurait fait disparaître d’autres 109 .

Au-delà de cas, trop particulier pour nous concerner ici puisque nous ne nous intéressons pas aux types de musiques jouées, il demeure que des doutes peuvent parfois apparaître sur l’efficacité des contrôles et ainsi des données : on reparlera plus loin de la Corse où un seul repas dansant a été déclaré en 1995, alors que début août de cette année-là, nous avons pu voir sans recherche systématique des affiches qui invitaient à une dizaine d’entre eux sur les seules zones d’Ajaccio et Corte... Cette étude aurait du s’intituler Géographie du bal en France continentale : elle mentionne certes la Corse dans toutes les cartes, mais sans qu’on puisse accorder une grande fiabilité à la présentation qui en est donnée.

Mais la dissimulation de manifestations qui généralement ne passent pas inaperçues est, sauf en Corse et peut-être à l’est de Paris 110 , exceptionnelle. Vu le nombre de bals relevés, on peut la considérer comme négligeable pour les bals publics. Selon divers acteurs du bal, chefs et membres d’orchestres, on l’estime à un niveau plus fort pour les bals clos, particulièrement dans le cas de bals organisés par des comités d’entreprise. Mais, même dans ce dernier cas cette fraude ne dépasse probablement pas quelques pour cent du total, si même cela atteint un tel niveau.

Cela a cependant une incidence sur la confiance qu’on peut avoir sur le nombre des repas dansants dans certaines délégations citées ici ainsi que Monaco pour les bals (sans qu’y soit nécessairement attachée la présomption de fraude). On peut raisonnablement s’interroger sur la fiabilité des autres données assez faibles pour avoir été peut-être sous-déclarées : dans le cas des deux derniers (8 repas dansants pour 325 bals à Paris-Est, 34 bals pour aucun repas dansants à Monaco) on peut avoir confiance puisqu’on constate des fréquences de bals (Paris) ou repas dansants (Monaco) égales voire inférieures dans la plupart des délégations proches. Pour la Corse avec un seul repas dansant et 107 bals, il s’agît manifestement de sous déclarations.

La principale fraude que la SACEM doit supporter tient plutôt dans la sous-estimation des recettes puisque les perceptions se font au pourcentage du chiffre d’affaires. Cela amène à se montrer prudent sur les données en matière d’argent, biaisées de 10 à probablement 20%. Plutôt que se priver de telles informations, je rappelle souvent ces doutes et j’intègre même une estimation de cette fraude en considérant celle-ci relativement homogène sur l’ensemble du territoire (ce qui n’est pas du tout certain mais impossible à évaluer dans le détail).

Il reste le cas de Dunkerque dont la redevance moyenne dans les 523 bals de 1995 atteint le montant de 1647 francs alors qu’en 1991 elle n’était que de 691 francs (+138%), il s’agît d’un report de perceptions de l’année précédente qui s’ajoutent aux perceptions normales de 1995 et gonflent ainsi exceptionnellement une moyenne plutôt inférieure à la moyenne nationale 111 . Ces perturbations d’origine comptables existent aussi dans d’autres cas mais moindres et négligeables. Enfin, ne sont pas comptabilisées ici les perceptions des abonnés : il s’agit généralement de mairies, plus rarement de grosses associations ou de professionnels, qui paient un forfait pour l’ensemble de l’année : un gros milliers de bals sont dans ce cas.

On peut donc accorder foi aux données fournies par la SACEM en sachant que s’il y a certainement une erreur, celle-ci reste marginale : les données sont exhaustives et concernent 160 000 bals et repas dansants; elles peuvent donc apparaître comme exceptionnellement fiables. Elles présentent surtout l’intérêt d’être disponibles en unités spatiales précises. Cette carte des délégations de la SACEM, à la base d’une étude qui se prétend géographique, doit être présentée.

Notes
108.

Annexe 1

109.

Le Monde, 13 décembre 95, p. 27.

110.

Mais il s’agit-là pour partie (un tiers probablement) de manifestations répertoriées dans les délégations voisines, toujours à Paris ou sous une autre appellation. La véritable fraude, dans des proportions équivalentes, aurait deux origines: elle proviendrait de bals qu’on qualifie de bals ethniques, discrets (pas de publicité) et, selon un membre du personnel de cette délégation (affirmations non vérifiées), des arriérés de perception de sommes dues par la Mairie de Paris, indirectement organisatrice de la plupart des fêtes dansantes dans la capitale (voir note suivante). Enfin, on doit aussi souligner une moindre animation de certaine zones car un peu négligées par la mairie, renforcée par la mauvaise réputation de certains quartiers du nord et de l’est parisien.

111.

La SACEM comptabilise un bal seulement lorsque ses perceptions ont été encaissées. La principale conséquence touche les fêtes de fin d’année: les réveillons dont les organisateurs traînent pour régler leur redevance sont, à partir de fin janvier en général, comptabilisés sur l’année suivante. La régularité de ces reports amène cependant à ne pas trop s’inquiéter pour la fiabilité de notre source.