2-7 L’observation sur le terrain : la nécessaire empathie

L’observation est nécessaire et particulièrement utile alors même qu’on utilise autant de données traitées statistiquement. Prudente, elle se doit d’éviter de généraliser si d’autres éléments ne permettent pas de la faire. Enfin, la multiplicité des regards est intéressante car elle évite les déformations.

On a déjà signalé que certains préjugés, autant que la méconnaissance, expliquent à la fois le manque d’étude et de données précises. Parler du bal dans un auditoire qui le pratique peu (et c’est le cas des producteurs de données et d’études), c’est généralement se confronter à de nombreux clichés auxquels cette étude s’efforce de faire un sort. Il est donc évident que les informations fournies dans ces conditions sont susceptibles d’être biaisées ou appauvries en toute bonne foi.

L’empathie, voire la subjectivité se révèlent nécessaires. Ce débat important chez les anthropologues ne concerne pas encore beaucoup les géographes. Pourtant, “tenter de rendre compte de la logique sociale d'un objet suppose que l'on se pénètre dans un premier temps de sa logique interne, en toute subjectivité. Seule une empathie authentique [...] semble autoriser cette imprégnation à laquelle la filiation universitaire de la démarche risque de porter préjudice dans le rapport dissymétrique à la culture qu'elle introduit implicitement.” 117

Cette ouverture, si on veut tenter un terme plus neutre, permet donc d’expliciter des processus incompréhensibles au non-initié, rares ici, mais aussi de débusquer le détail important et discret (ainsi des rapports à l’argent dans le bal). Sa confrontation avec d’autres données est seule susceptible de valider l’analyse d’une réalité trop complexe pour les outils statistiques classiques.

Enfin, l’observation sur le terrain; le terrain, dont la pratique s’apparente à une véritable mystique de la géographie, au moins son enseignement, se situe toujours dans le visuel, le temps long et, mais c’est moins systématique, des échelles souvent assez larges. Au paysage, se substitue la compréhension de mécanismes sociaux. Ici, les logiques de cette observation sont donc plus proches de celles développées par le sociologue.

Deux périodes sont à distinguer: l’immersion réelle originelle, sans projet d’étude sur la question mais qui permit la formulation des premières remarques sur ce qui allait devenir ensuite la thèse de ce travail. Cette première phase a consisté en une activité professionnelle dans le milieu de la musique dont environ cent bals de 1983 à 1986.

Cette information de l’intérieur est complétée par la connaissance de membres des professions du spectacles engagés entre autres dans le bal et qui constituent une source d’information précieuse et précise. De même type, s’y ajoutent aussi les informations obtenues en mars 98 lors d’un entretien avec Jo Dona, animateur depuis 30 ans de l’émission spécialisée de France-Inter, Inter-danse. Enfin, un entretien informel en janvier 98 avec un délégué de la SACEM bon connaisseur de ses circonscriptions d’affectation successives (Alençon surtout puis Saint-Raphaël) se révèle fructueux.

Ces informations peuvent être considérées comme intermédiaires, distancées par ce relais entre le témoin et l’analyste mais aussi par la réflexion que procure l’expérience envisagée ici comme une standardisation de la perception. A ce titre elle rejoint la deuxième phase. En même temps, elle garde son originalité qui la distingue de toute autre : l’expérience différente de ces professionnels introduit un regard biaisé. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les exemples cités avec ceux de Marchan, plus proche d’orchestres amateurs ou semi-professionnels.

La deuxième phase, plus classique, est celle de l’étude. Sa durée permit de fréquenter un nombre important de bals 118 , mais cette fois en observateur, attentif à leurs caractéristiques, à choisir les plus pertinents. Sans qu’il soit question d’entretiens systématiques, beaucoup d’informations ont alors été glanées en discutant avec les organisateurs, des membres du public et deux maires.

Les sources de cette étude semblent donc assez nombreuses et diversifiées pour embrasser la complexité de la question. Le plus difficile tient dans leur synthèse et leur analyse. Mais encore faut-il d’abord définir avec précision l’objet de l’étude. Qu’est-ce qu’un bal ? Ou plutôt: quels bals allons nous étudier ?

Notes
117.

MARCHAN, F. Thèse. Op. cit. p.2

118.

Annexe 5