3-1-3 Une typologie plus précise: celle de Renault

L’étude de Patrick Renault 126 débute par une présentation de son objet d’étude. Il paraît intéressant de proposer sa typologie, fort rigoureuse et en même temps très pragmatique dans le sens où elle privilégie le point de vue des organisateurs (et donc l’aspect économique, la réussite du bal). Elle est d’ailleurs suivie au chapitre suivant d’une typologie des organisateurs qui nous sert en fin de chapitre.

“Il nous a semblé qu'on pouvait distinguer différents types de bals selon l'importance de l'audience a priori de l'organisateur de la séance, du “noyau central” qui constitue sa clientèle acquise quoi qu'il advienne.
Nous avons ainsi relevé quatre catégories de bals:
- le bal privé, fermé au grand public, dont la clientèle est sélectionnée.
- le bal semi-privé, à fort noyau central de clients acquis mais qui s'est ouvert sur l'extérieur.
- le bal public “identifié”: l'audience a priori dont il bénéficie en raison de la notoriété de l'organisateur est fluctuante mais toujours minoritaire.
- le bal “grand public”: pas d'identité propre de l'organisateur, donc aucune clientèle acquise de ce fait.”

“1- Les bals privés
Lors des entretiens, plusieurs chefs d'orchestre ont mentionné l'existence de ces bals mais, en fait, aucun de leurs organisateurs n'a été interviewé.
Ces séances se caractérisent par un public d'habitués, appartenant à un groupe précis (club, profession, amicale) et à des classes sociales très voisines. Soigneusement sélectionnée, voire invitée à participer à la soirée (moyennant un prix d'entrée souvent assez élevé) sa clientèle est d'âge moyen, largement supérieur à celui de la majorité des bals. Le cas type en est le bal du Rotary ou du Tennis Club.
Assurés d'un public fidèle et plus nanti que la moyenne, les organisateurs rencontrent généralement peu de difficultés dans l'organisation et l'animation de leur séance.

2- Les bals semi-privés
Ils ont, eux aussi, une clientèle de base qui se compose d'habitués, mais ils se sont ouverts à un nouveau public: les jeunes.
Le noyau central peut être constitué, par exemple, de membres et de sympathisants d'une société régionaliste, ou encore de représentants d'une profession et de ses sympathisants. Ce bal accueille aussi une autre clientèle, que séduit l'attrait d'une ambiance, d'un orchestre (attraction conjoncturelle), ou le désir de s'intégrer à un groupe défini, voire à une classe sociale jugée supérieure (désir d'assimilation).
Sans exiger une carte d'invitation ou une recommandation spéciale, les organisateurs procèdent, à l'entrée, à un tri sérieux de la clientèle.
Tous ces bals, privés ou semi-privés, sont généralement implantés en secteur urbain ou semi-urbain et s'installent dans des salles “consacrées" dont l'image de marque est respectable. Traditionnellement, on y danse beaucoup.

3- Les bals publics “identifiés”
Ils possèdent, eux aussi, un noyau de clients acquis, la plupart du temps en raison de la notoriété, de la personnalité des associations qui les organisent. Toutefois, l'importance de ce noyau peut varier: par exemple, un bal d'association sportive verra son audience de fidèles varier en fonction de la valeur et des résultats de l'équipe qui l'anime. Ces bals sont très ouverts sur l'extérieur et les jeunes les fréquentent beaucoup: ce sont eux qui constituent la majeure partie du public. On y rencontre moins souvent que précédemment le phénomène d'appartenance aux mêmes classes sociales ou à un groupe bien défini. En conséquence, l'organisateur se trouve en face d'un public qui ne présente pas de caractéristiques homogènes et qui, dès lors, est plus difficile à prospecter et surtout à satisfaire, donc à conserver.

4- Les bals “grand public”
Leurs organisateurs n'ont pas une grande notoriété et ils ne disposent pas d'une clientèle acquise a priori: ni noyau central ni habitués. Leur public se compose uniquement de jeunes et son importance varie beaucoup en fonction de la concurrence des autres bals et d'autres modes de loisirs. Ces organisateurs sont à la recherche de “ce qui plaît", mais, parfois, faute de connaître les jeunes et leurs attentes, ils ne savent pas très bien comment les satisfaire.
Ces bals populaires sont surtout implantés en secteur rural, semi urbain et en banlieue; ils s'installent volontiers dans des salles moins “consacrées", sous des chapiteaux ou dans des lieux ouverts: places, etc. Leur public principal, jeune, danse moins qu'avant.”

Pour intéressante et instructive que soit cette approche, nous devons nous défier de certaines affirmations un peu rapides qui demandent confirmation et sont parfois infirmées par le reste de l’étude. Par ailleurs, nous nous limitons souvent à des critères moins précis: dans bien des cas nous manquons d’information permettant d’asseoir ces distinctions. Surtout, l’observation sur le terrain montre qu’elles sont loin d’être toujours aussi nettes.

Si les différents bals s’efforcent de se différencier les uns des autres, les attitudes dans certains cas sont parfois très proches car on copie les plus prestigieux. Beaucoup de modes sont passées de l’un à l’autre, modes spécifiques à la danse mais aussi diffusion de comportements sociaux à travers la société. Ces mouvements sont sociaux et spatiaux: généralement, le mouvement a lieu dans un sens descendant depuis les manifestations les plus prestigieuses qui rassemblent une élite sociale, ou identifiée comme telle, vers d’autres groupes plus populaires mais aussi souvent spatialement plus périphériques: le bal bourgeois (ainsi ceux de l’Opéra au XIXe siècle évoqués plus haut) est très central puisqu’il veut justement affirmer la place prépondérante de ses participants, il est donc très urbain particulièrement centré sur certains arrondissements de la capitale et sa périphérie ouest.

La diffusion des modes suit ainsi un itinéraire spatial et social en direction des périphéries urbaines d’hier 127 comme d’aujourd’hui et des campagnes, souvent touchées plus tard car ce trajet introduit un gradient temporel 128 avec une accélération des transferts qui réduit les écarts: les fêtes très urbaines appelées raves, apparues au début des années 90, pénètrent déjà les campagnes. En même temps, dans d’autres domaines, on met ici en valeur des décalages chronologiques restés importants entre ville et campagne. Ce mouvement peut aussi s’inverser sous l’effet de modes: le bal du village fournit un modèle qui est réintroduit en ville alors même qu’on le voit en recul dans les campagnes.

Il demeure qu’on ne négligera pas les informations que cette typologie fournit, notamment en matière de localisation des différents types de bals.

Notes
126.

RENAULT, Patrick. Op. cit. p. 15

127.

JOLIVEAU, Thierry. Op. cit.

128.

N’utilise-t-on pas l’expression “être en retard” pour désigner un décalage de ce type ?