3-3-2 Un bal novateur en permanence

Plus dangereux et novateurs sont les bals situés dans le centre. Il ne s’agit plus de refouler dans une lointaine périphérie: on se trouve-là dans le coeur de la ville, la zone d’affrontement politique et social. Cela explique que le niveau social des bals soit en ville plus strictement défini. En même temps, ce bal urbain, huppé ou plus populaire, est celui qui innove, qui invente le bal moderne, avec à chaque tournant de siècle des périodes plus intenses. C’est ce bal que le discours commun présente comme immuable; celui qui aujourd’hui connaît une autre mutation créatrice.

Paradoxalement les bals prospèrent particulièrement durant les pires années de la Révolution. N’imaginons pas Paris triste et figé sous la Terreur : on y atteint le chiffre effarant de 640 bals fixes; il y en aura même 1800 sous le consulat 174 . La chanson est aussi utilisée durant toute la période pour célébrer la nation puis le consulat et l’empire. Ce bal nous intéresse à deux titres: il innove en permanence et donne au bal sa forme très codifiée; c’est aussi un espace politique et social strictement défini.

C’est l’espace d’innovation véritable du bal. C’est ici qu’on le voit prendre les formes qui vont rester les siennes jusqu’à notre époque: datent ainsi de la révolution, l’organisation de la piste, l’éclairage au lampion, mais aussi cette tendance à consommer jusqu’à saturation des chansons vite renouvelées au gré de l’actualité avec des airs proches ou même identiques, nous dirions des tubes aujourd’hui. Tous les deux, trois ans apparaît une nouvelle danse, en général inventée de toutes pièces, mais avec quelques connotations exotiques qui assurent son succès: à la vieille contredanse s’ajoutent ainsi les danses allemandes, les valses, les sauteuses, les petite et grande cosaque, la cosaque polonaise, anglaise, bernoise, suivront plus tard scottich, polka.

Pendant la dernière partie du 19e siècle on met au point bon nombre de danses considérées aujourd'hui traditionnelles (cancan, java) à l'aide d'un nouvel instrument: l'accordéon qui remplace la vielle dite musette. L'expression bal musette date du début du 20e siècle, apogée de sa phase la plus traditionnelle, marquée par la multiplication des bals du 14-juillet sur les places publiques. Le musette est en effet inventé en 1905 par un auvergnat de Paris, le joueur de cabrette Bouscarel, associé à un italien, Perugi 175 .

L'entre-deux guerres voit se multiplier dans le pays les lieux de bals clos, alors qu'ils commencent déjà à décliner dans la capitale 176 . Ces espaces sont relayés, dans les zones rurales par les chapiteaux des "entrepreneurs de bal qui se déplacent avec leur parquet"; il s’agit de ceux-là qu’on voit disparaître aujourd’hui. On estime qu'ils sont encore près de deux mille après 1945 177 . C'est aussi l'époque où on importe et adapte de nombreuses danses d'Amérique du sud comme du nord. Commence à se développer aussi le bal privé ou bal d'association, devenu aujourd'hui si important.

Notes
174.

DECITRE, Monique. Musiciens et maîtres à danser des bals de société et bals populaires au service et à la gloire du Consulat et de l’Empire. in CORBIN, A., GERÔME, N., TARTAKOWSKY, D. Les usages politiques des fêtes aux XIX e et XX e siècles. Actes du colloque de Paris (Nov. 1990), Publications de la Sorbonne, 1994, pp. 63-76.

175.

GEO. Auvergne. N°162, Août 1992.

176.

Il est révélateur que c’est à cette époque que leur public s’élargit: c’est-là que les surréalistes vont, à leur tour, s’encanailler à peu de frais. A ce sujet, lire Pierre Mac Orlan, Maurice Dekobra ou Claude Dubois.

177.

GERBOD, Paul. Op. cit.