2-3 Des fréquences très contrastées

Afin de compenser les inégalités démographiques, on a comparé le nombre de séances à la population de la zone considérée lors du recensement général de la population de 1990. Cela permet donc de disposer d'un indicateur (exprimé en nombre de séances pour 10 000 habitants) des différences de pratiques selon les régions. A population comparable, les écarts deviennent alors bien plus conséquents et révélateurs.

Lorsqu'on considère la carte 9, on a confirmation des suppositions proposées: les inégalités sont particulièrement marquées d'une région à l'autre. Débarrassés des inégalités de population, les écarts se creusent par rapport aux données brutes: la forte visibilité des manifestations (carte 7) se double alors d’une forte pratique.

Déjà importants en ce qui concerne les perceptions, ces écarts 234 le restent dans le cas des fréquences de l’ensemble des bals: de 1 à 42 entre Saint-Gratien et Gap, de 1 à 13 (de Brest à Gap) si on retranche la région parisienne, Ajaccio et Marseille. La fréquence des bals et repas dansants renforce donc la perception qu’on peut avoir de ces contrastes. Surtout, on s’aperçoit que les valeurs moyennes sont elle-mêmes très étagées et que ces contrastes ont une assise très spatialisée.

Carte 9. La fréquence des bals et repas dansants par délégation de la SACEM
Carte 9. La fréquence des bals et repas dansants par délégation de la SACEM

Les délégations du Sud-Ouest et du Massif Central, déjà cités, dominent nettement. S'y adjoignent, d'autres régions peu denses où les bals paraissent parfois rares dans la carte 6: le Languedoc, à l'exception de Montpellier, le sud des Alpes et une large bande qui, jusqu'à la frontière luxembourgeoise, isole les zones fortement urbanisées de Rhône-Alpes, de l'Alsace, de la Provence et de la Côte d’Azur et surtout du Bassin Parisien, ce dernier clairement délimité d’une double auréole à l’est et au sud.

On aura reconnu là, la fameuse "diagonale du vide" et la quasi totalité des départements signalés comme en difficulté démographique. La cinquantaine de délégations supérieures à la moyenne ne représente d'ailleurs pas même le quart de la population totale du pays, malgré la présence de Toulouse, Limoges, Clermont-Ferrand et d'une quinzaine d'agglomérations qui approchent ou dépassent les 60000 habitants!

A l’inverse, parmi les régions de faible fréquence, on trouve d’abord les métropoles importantes, à l'exception de Toulouse et, dans une moindre mesure, celles du nord-est, Nancy-Metz et Strasbourg. On peut donc proposer une première constatation: le bal apparaît comme un phénomène plutôt rural, même s'il influence des villes parfois importantes. La situation démographique semble jouer un rôle majeur dans sa répartition.

Mais il nous faut immédiatement nuancer: en effet, s'ajoutent aussi aux régions de faibles fréquences très urbanisées, les régions de campagnes rénovées fortement peuplées dont les taux, bien que moins modestes, n'atteignent pas la moyenne: littoraux atlantique, provençal, extrémité atlantique du Val de Loire, Savoie. Dans ce groupe, on a quelques exceptions cependant: les délégations de Touraine ou même la Franche-Comté qui combinent les deux types de campagnes; c’est le cas aussi dans la délégation d’Avignon grâce aux bals importants et à forte audience qui s'y tiennent l'été.

Cela nous amène à signaler un risque: celui de confondre cette fréquence des bals et leur fréquentation, beaucoup plus difficile à appréhender à travers les données dont nous disposons. L'importance des redevances dans certaines délégations, laisse supposer qu'on y trouve des bals plus importants mais peut-être assez rares, susceptibles d'attirer un public nombreux: outre le Vaucluse, c'est le cas en Alsace, et dans les Vosges, dans la Loire Atlantique ou encore en Savoie.

A l'inverse, les écarts importants de population en France peuvent fausser l'appréciation et par un effet de lissage statistique (taille des délégations notamment, mais pas seulement) mettre sur le même plan des populations assez nombreuses et pratiquantes de bals importants, avec des populations très peu nombreuses où les bals seront petits et n'attireront qu'une population totale fort réduite. Bien qu'il soit difficile de démêler les uns des autres, c'est probablement le cas dans certains départements de la lointaine couronne du Bassin Parisien ou peut-être même en Languedoc.

Le bal semble donc une activité plutôt campagnarde donc, mais sans conclure sur le type de campagnes: si les plus rénovées semblent moins pratiquantes et se rapprochent de comportements urbains, cela ne signifie pas que les bals seront automatiquement nombreux dans les campagnes moins peuplées: la Vendée, le pays de Caux, la Sologne, la Beauce ou l’est de la Picardie le prisent peu. On a déjà vu aussi que les plus petites agglomérations en organisent peu.

Il demeure que, peut-être plus net encore que la relation entre fréquences et redevance (graphique 3), un lien semble bien exister entre les densités, surtout les plus faibles, et les fréquences (graphique 4). Cette relation n’apparaît moins évidente que dans les délégations les plus urbanisées, faiblement pratiquantes pour d’autres raisons. Ailleurs, le lien est particulièrement fort.

Graphique 4. Des bals plus ruraux ?
Graphique 4. Des bals plus ruraux ?

Source: SACEM, 95

Enfin, on peut remarquer à l’étude de la carte 9 que des régions qui, dans le discours courant, sont souvent présentées comme culturellement très homogènes ne le sont pas toujours dans leur pratique du bal: c’est particulièrement le cas de la Bretagne, voire de la Bourgogne ou du nord du pays. Déjà visibles en ce qui concerne les redevances à la SACEM, ces partitions doivent rendre méfiant vis à vis du discours régionaliste, notamment en Bretagne où le bal possède un nom spécifique, le fest-noz, et serait, selon le discours commun “l'expression d'une culture populaire authentique qui n'a jamais été si vivante” 235 , surtout sur la côte sud. Or, les bals se concentrent en Côtes-d’Armor où ils sont dans leur grande majorité très classiques. Cette situation n’est pas rare: dans de nombreuses régions, une étude plus précise permet de mettre en valeur des comportements beaucoup plus parcellisés, à l'image de ceux qu’on voit émerger dans un grand sud-est ou dans le nord.

Notes
234.

On peut comparer avec quelques autres marqueurs nationaux courants, économiques ou démographiques: en matière de revenus ou de chômage les écarts se limitent (heureusement) à un rapport de 1 à 2; la fécondité, la part des moins de 20 ans ou des plus de 60 ne varient que de 1 à 1,3... Seules la part des immigrés (1 à 10) et la densité départementale de la population (1 à 20) permettent de voir apparaître des contrastes aussi forts. Un rapprochement utile pour la suite.

235.

Le Nouvel Observateur. 23-29 juillet 98. p. 12 (Ursula Gauthier).