3-2 Deux publics très distincts

Au vu de ces données, les français forment trois groupes représentés dans le graphique 5 :

  • Un quart ne vont jamais au bal. C'est considérable mais on peut aussi en déduire a contrario que les trois quarts des français de plus de quinze ans pratiquent plus ou moins souvent le bal. Cela illustre bien l'importance de ce loisir. (Groupe C)
  • Ceux qui n'y vont qu'une fois ou deux dans l'année. Mais n'oublions pas que les bals privés et fêtes de famille au moins aussi nombreux que les bals publics ne sont pas comptabilisés dans ces données. Ces pratiquants occasionnels, représentent la moitié des pratiquants. S'ils forment le gros des troupes, ne nous illusionnons donc pas non plus sur l'importance de leur pratique: quelque soit leur discours vis à vis du bal (paradoxalement c'est parmi eux qu'on rencontre la plupart des nostalgiques du bal traditionnel), ils n'y attachent qu'une importance limitée. Il demeure que ce groupe se diffuse dans toutes les catégories de la population et donne au bal cette image de loisir de masse. On va voir que ce sont ceux dont la présence s’accroît. (Groupe B)
  • Restent les assidus: ceux qui fréquentent souvent ou très souvent les bals représentent la moitié des pratiquants. Ce sont eux qui font la vie du bal, notamment les très assidus: leur pratique est importante, parfois quasi hebdomadaire 241 , au point de donner pour l'ensemble des pratiquants une moyenne de près de 6 bals par an en 1981, de 5 en 88. Mais c'est aussi le groupe dont l’importance décroît le plus. Cette dernière catégorie, on le voit dans le graphique 4, puise ses effectifs dans quelques groupes, qui donnent son image au bal: les jeunes, les agriculteurs et les ouvriers, les ruraux. (Groupe A)

Retenons donc l'image d'un public stable qui s’élargit lentement sur vingt ans. Dans le même temps, la pratique est plus uniforme, puisqu'on y va moins souvent. Cela recoupe les constatations faites plus haut qui indiquaient que les goûts du public changent aussi: on fréquente plus les repas dansants et ce type de bal s’adresse à une clientèle moins spécialisée, souvent plus âgée. On imagine généralement le bal comme “une pratique populaire, jeune et rurale” 242 . L'étude fine de ce public permet aussi de mettre en valeur une évolution récente: ce n'est plus tout à fait le même public qui va à des bals différents.

Retenons donc l’idée de deux publics différents mais qui tendent à se fondre. De fait, dans le graphique 4, seuls deux groupes se distinguent nettement: les jeunes de moins de 20 ans et les agriculteurs. Le reste du groupe A, les forts pratiquants, se rapproche nettement de l’énorme groupe B, celui des pratiquants occasionnels. Il garde cependant une relative homogénéité: les jeunes, les ruraux et les groupes disposant d’un bagage éducatif mais inférieur au bac. Bref, on retrouve-là quelques clichés qu’il faut aborder: le bal des jeunes, le bal populaire et le bal des champs.

Enfin, le groupe B se distingue clairement du groupe des non ou faibles pratiquants, lequel se révèle d’ailleurs assez hétéroclite avec deux tendances: les intellectuels, de préférence parisiens, et les personnes âgés.

Graphique 5. Les publics du bal
Graphique 5. Les publics du bal

Source: Ministère de la Culture, 88

Légende du graphique

Code Groupe A Code GROUPE B Code GROUPE B Code GROUPE C
1 15-19 ans 10 niveau BEPC 18 U.U. 20 000 -100 000 hbts 28 Niveau études supérieures
2 agriculteurs 11 employés 19 femmes 29 cadres, prof. intellectuelles sup.
3 ouvriers qualifiés 12 U. U. < 20 000 hbts 20 autres inactifs 30 Veufs, divorcés
4 étudiants, élèves 13 25-34 ans 21 aucun diplôme, CEP 31 retraités
5 niveau CAP 14 35-44 ans 22 plus de 100 000 hbts 32 Paris
6 célibataire 14 45-54 ans 23 professions intermédiaires 33 plus de 65 ans
7 ouvriers non qualif., agric. 15 hommes 24 Niveau bac  
8 20-24 ans F FRANCE 25 agglomération parisienne  
9 commune rurale 16 vie en couple, marié 26 femme au foyer  
    17 prof. indépendante 27 55-64 ans    

Mais, si les groupes les plus nombreux dans la population du pays se retrouvent surtout dans le groupe B, on doit s’efforcer d’affiner la description. Deux outils proches nous permettent d’appréhender ce public. La structure des clientèles telle qu’elle ressort de l’enquête de 1981, et la pratique combinée à l’assiduité dans l’enquête de 1988.

Le meilleur cliché que nous puissions avoir de ce public est celui révélé par l'enquête du Ministère de la Culture de 81, présentée dans le graphique 6: on découvre en effet la structure des clientèles, c’est-à-dire la répartition du public par groupe pour 100 pratiquants. On peut d'ailleurs regretter que la précision de l’enquête se dégrade d’enquête en enquête. Cependant ces résultats de 1981 restent valables, à condition de ne pas oublier d’actualiser certaines données démographiques qui ont depuis sensiblement évolué: ainsi le recul du nombre d’agriculteurs. N’oublions pas aussi que les comportements peuvent aussi évoluer; ainsi dans les cas divergents des jeunes et des retraités.

Le graphique 6 met en valeur le poids réel de chaque groupe dans le public, selon son assiduité au bal mais aussi son poids démographique. Si les ruraux et les titulaires d’un diplôme secondaire restent parmi les plus nombreux, leur poids est ainsi relativisé, de même que celui des autres groupes qui émergeaient dans le graphique 5: aucun n’atteint les 40% du public dans la catégorie considérée 243 .

Graphique 6. Structure des clientèles du bal en 1981
Graphique 6. Structure des clientèles du bal en 1981

6 séries de 100%.

Source: Ministère de la Culture, 81

V - Nettement surreprésenté dans la clientèle par rapport à sa part dans la population totale

Δ - Nettement sous-représenté dans la clientèle.

Code Groupe Code Groupe Code Groupe
1 veufs divorcés 11 CM agriculteurs 21 CM ouvriers qualifiés et contremaîtres
2 CM autres inactifs 12 ouvriers qualifiés et contremaîtres 22 15-19 ans
3 CM cadres sup. et prof. libérales 13 CM cadres moyens 23 CEP
4 agriculteurs 14 de 20 000 à 100 000 hbts 24 CM OS, manoeuvres, pers. de serv.
5 CM petits commerçants et artisans 15 de moins de 20 000 hbts 25 40-59 ans
6 CM employés 16 Bac ou plus 26 plus de 100 000 hbts
7 cadres moyens 17 OS, manoeuvres, pers. de serv. 27 rurale
8 agglomération parisienne 18 20-24 ans 28 25-39 ans
9 Etudiants, élèves 19 Femmes au foyer 29 célibataires
10 employés 20 aucun diplôme 30 Brevet ou CAP
Non représentés: gros commerçants et industriels; 70 ans et plus; CM gros commerçants et industriels; cadres sup. et prof. libérales; CM retraités; Paris; 60-69 ans; retraités; petits commerçants et artisans; autres inactifs (moins de 5% des clientèles). Mariés (plus de 60 % des clientèles).

Ce graphique nuance la présentation faite par le précédent: on voit ainsi plus nettement la place réelle qu’occupe chaque groupe. Retenons dès l’abord le caractère populaire du bal mais aussi son public urbain. La forte pratique des agriculteurs est ainsi considérablement atténuée.

Là encore, ce qui compte c’est le poids des groupes de pratiquants moyens: ces 18 groupes représentent entre 10% et 25% du public de leurs catégories respectives. A l’autre extrémité les groupes non représentés car insignifiants sont sensiblement les mêmes que ceux déjà mis en valeur: les personnes âgées, les parisiens; s’y ajoutent quelques groupes, notamment socio-professionnels, statistiquement très minoritaires dans la population française.

Surtout, il est important de distinguer une autre dimension: la sur ou la sous-représentation dans le public par rapport à la réalité démographique. En effet, à la réalité du public telle qu’elle se dessine au graphique 6, se superpose, à travers cette information mais aussi celles proposées par le graphique 5, la représentation de l’activité qu’en ont les différentes catégories de population.

Enfin, pour être complet, on peut aussi enrichir la description de ces pratiques en l’élargissant aux comportements économiques. Celles-ci, dans l’ensemble confirment ce portrait, mais avec quelques nuances de taille.

Notes
241.

C’est ce que montre l’enquête sur la pratique de la danse de l’INSEE, plus précise: 12% des adultes vont danser au moins une fois par mois, dont 4% “presque chaque semaine”. Diverses évaluations reprises dans cette étude permettent d’affirmer que le bal public représente environ la moitié des sorties danse.

242.

Ministère de la culture. Enquête 81. Op. cit.

243.

6 catégories, très traditionnelles, sont ainsi considérées: âge, CSP du chef de ménage, CSP de l’interviewé, taille de l’agglomération, diplôme de fin d'étude, situation de famille. Le sexe a été négligé, bien que la part dans la clientèle des hommes et des femmes soit inversée par rapport à celle qu’ils occupent dans la population totale (52/48%). Pour la même raison, sont éliminés aussi les gens mariés (65% de la population et 60% de la clientèle). Par commodité, ne sont représentés que les groupes qui disposent d’une importance réelle (plus de 5% du public). Ces restrictions expliquent que le total théorique de 600% pour l’ensemble des groupes ne soit pas tout à fait atteint.