3-3 Des comportements économiques sans surprise

Les données à caractère économique mettent en valeur les fortes disparités des dépenses consacrées à la danse et aux sorties en 1985 244 et 1989 245 . Deux critères nous intéressent: le montant moyen des dépenses, fort variables (de 1 à 418 francs) ; la part de la danse dans l’ensemble des sorties (1 à 67% des dépenses engagées). La représentation de ces deux variables sur le graphique 7 permet de distinguer nettement trois groupes assez proches de ceux déjà mis en valeur.

Le groupe A est celui des gros consommateurs, où on met en exergue les très forts consommateurs: les ménages d’agriculteurs pour qui le bal est la sortie par définition et qui y consacrent des sommes importantes et des célibataires de moins de 35 ans, plus variés dans leurs loisirs.

Les forts consommateurs sont un groupe plus composite centré autour des familles d’âge mur; il s’agit du groupe dont les revenus sont plus importants et de ménages souvent avec enfants déjà âgés où on a de forte chances de retrouver aussi des jeunes célibataires. Enfin, souvent proches, on peut signaler les professions indépendantes: leurs revenus élevés tout autant qu’une vie sociale plus intense aux préoccupations très locales expliquent ces comportements. Pour tous, la danse représente généralement le tiers à la moitié des dépenses en sorties: c’est une indication importante sur les pratiques.

Le groupe B se révèle dense avec des comportements très proches. Il se distribue autour de la dépense moyenne nationale; la part de celle-ci dans l’ensemble des sorties est aussi homogène (autour du tiers), malgré quelques exceptions sans surprise, notamment dans le cas des ruraux et ouvriers. Cette importance et cette homogénéité explique qu’il soit plus difficile d’y faire émerger des catégories sociologiques aussi nettes que dans les groupes A et C. C’est la France du bal qu’on vient de mettre en valeur au graphique 5.

Graphique 7. Typologie des comportements économiques dans les sorties “danse”
Graphique 7. Typologie des comportements économiques dans les sorties “danse”

(Source: O. Donnat, 1986-89)

Légende du graphique : Critères choisis: catégories socio-professionnelles, activité de l'épouse 246 , tranche d'âge, type de ménage, type d’urbanisation 247 .

Code Groupe A Code GROUPE B Code GROUPE B Code GROUPE C
1 agriculteurs 12 cadres, prof. intellectuelles sup. F FRANCE 32 célibataire féminine
2 personne seule < 35 ans 13 Autres ménages sans enfant 23 35-44 ans 33 personne seule 35-65 ans
3 épouse agricultrice 14 professions intermédiaires 24 employés 34 couple sans enfants < 35 ans
4 45-54 ans 15 ouvriers 25 autres ménages: 3 pers. 35 couple ss enfants 35-65 ans
5 épouse prof. indép. 16 commune rurale 26 agglo. parisienne 36 retraités
6 couples avec 3 enfants 17 épouse cadre 27 couples avec 1 enfant 37 65-74 ans
7 couples avec 2 enfants 18 épouse employée/ouvrière 28 U.U. 20 000 -100 000 hbts 38 plus de 75 ans
8 moins de 25 ans 19 U.U. plus de 100 000 hbts 29 épouse inactive 39 personne seule > 65 ans
9 autres ménages: 4 pers. 20 55-64 ans 30 U. U. < 20 000 hbts 40 couple sans enfants > 65 ans
10 profession indépendante 21 autres inactifs 31 25-34 ans  
11 célibataire masculin 22 Paris  

On peut cependant pointer quelques exceptions: les cadres et professions intellectuelles supérieures, surtout ceux des plus grandes villes sont bien placés: hauts revenus et sorties plus fréquentes l’expliquent.

Signalons ensuite qu’ici le lieu de résidence est un critère secondaire puisque tous se retrouvent dans ce même groupe B. On constate une relative homogénéité des dépenses: l’écart maximal est de 55 francs soit 20% par rapport à la moyenne. A rebours d’une image plutôt rurale voire provinciale de ce loisir, les grandes villes surclassent assez nettement les plus petites et sont les plus proches de la moyenne nationale. On a la demi-surprise d’y découvrir que les consommations des parisiens se montent à 163 francs, soit un niveau assez proche de celui des ruraux (184 francs); proximité trompeuse puisqu’elle cache de grandes disparités de pratique. En fait, les parisiens vont rarement danser, et encore plus rarement au bal, mais leurs sorties sont onéreuses (carte 8), quand, au contraire, les ruraux fréquentent avec beaucoup plus d’assiduité des bals très bon marché.

Il demeure que rapportées à l’ensemble du budget “sorties”, ces sommes sont très inégales: de 50% chez les ruraux, elles tombent à 14% chez les parisiens... Pour les urbains des grandes agglomérations, il ne s’agît que d’une consommation parmi d’autres loisirs. On distinguera donc trois ensembles: les communes rurales, Paris, le reste du pays, périphéries parisiennes comprises, ayant un comportement homogène très proche de la moyenne nationale.

Le groupe C est nettement celui des faibles, voire très faibles consommateurs. Il s’agit des catégories pour qui la danse est une activité rare voire exceptionnelle et qui de surcroît dépensent peu. Il est très nettement centré sur les personnes âgées mais aussi des catégories de population où les ménages reproduisent souvent moins la structure familiale classique.

Les représentations du public proposées par les graphiques 5, 6 et 7 mettent en valeur des constantes de comportement. Le graphique 6 insiste particulièrement sur certains groupes surreprésentés par rapport à leur importance réelle dans la population française. C’est bien là qu’on revoit les trois clichés attachés au bals: bal des jeunes, bal populaire et bal des champs, bien que ce dernier aspect soit moins net, particulièrement dans le cas des agriculteurs. Réservant celui-ci pour une étude ultérieure plus complète dans le cadre de l’analyse des partitions régionales, on va maintenant aborder les deux premiers aspects.

Notes
244.

DONNAT, Olivier. Dépenses. Op. cit.

245.

ENEAU, D., HOURRIEZ, J.M. ET MOUTARDIER, M. Radioscopie du budget des ménages. Tome 3. INSEE-RESULTATS, n° 50-51, 1993, 250p.

246.

L’activité professionnelle de l’épouse ne semble guère influencer les comportements. Le budget danse diffère peu de celui d’un chef de famille de même catégorie, se contentant le plus souvent de simplement le modérer quelque peu. Une telle atonie peut surprendre, car il s’agît d’un marqueur important dans l’enquête réalisée en Suisse. Celle-ci révèle qu’en matière de pratique (nous ne disposons pas des dépenses) la profession de l’épouse joue un rôle très inégal selon la catégorie socio-professionnelle. Ce comportement sera modérateur chez les ouvrières et femmes d’ouvriers, alors qu’à l’inverse les employées, femmes d’employées, cadres moyen et femmes de cadres moyen pousseront à consommer plus ce type de loisir. Les variations dans un sens comme dans l’autre sont importantes: du simple au double. Cette différence marquée peut laisser supposer des comportements beaucoup plus autonomes de nos voisines suisses. On expliquerait ainsi dans le cas des professions indépendantes françaises, un important accroissement. Une telle remarque demanderait une étude plus fine, région par région ou selon le type de structure urbaine, afin de mettre en valeur des inégalités de comportements probablement très fortes.

247.

On peut regretter de ne pas disposer du niveau d’instruction.