5-4 Une rationalité différente

C’est là que se niche un des débats majeurs des sciences sociales: la validité de la théorie du rational choice ou la généralisation à l’ensemble des activités humaines de ces présupposés économiques à l’origine. Demeulnaere montre 333 que sa généralisation dans l’homo oeconomicus est une construction récente, à vocation idéologique et que son dogmatisme est à l’origine des échecs contemporains de l’économie.

Claval 334 se montre aussi très critique: son succès vient “de ce qu’il [le rational choice] constitue le complément naturel des modèles d’équilibre et de jeu des feed-back qu’autorisent les marchés.” Cela permet à la géographie (mais la remarque vaut pour toutes les autres sciences sociales) de s’intégrer à un ensemble rationnel et simplifié dominant: “l'espace n'intervient que dans le jeu proprement économique - il est obstacle aux transports nécessaires à la vie de relation et d’échanges.”

A ce titre, on va nier sous le vocable très péjoratif de relations de proximité le rôle des partis, syndicats, églises ou associations, trop difficiles à intégrer. “Les implications géographiques du modèle de l'homo rationalis sont peu nombreuses et presque toutes négatives, car la vision de la nature humaine sur laquelle il est bâti est très pauvre. Ce qu’il nous suggère ce n’est pas de nous intéresser aux particularités des individus, mais de les négliger comme secondaires et sans pertinence pour qui veut comprendre le monde.” 335

L’échec de l’aménageur réside souvent dans l’incapacité d’intégrer ces rationalités: les contraintes de l’économie et les cadres socio-politiques face aux citoyens ordinaires dont les cheminements “rusent” avec la première pour reprendre l’expression de Di Méo 336 .

C’est bien là que demeure une question essentielle pour les économistes: comment rendre compte d’attitudes non-économiques, c’est à dire répondant à une autre rationalité, qui perdurent dans un monde qui pourtant est marqué par le triomphe de l’économique ? Que peut-on gagner en allant dépenser de l’argent pour danser ? En quoi l’intérêt d’un individu serait-il menacé s’il ne participait pas au bal du village ? Deux approches sont possibles; les économistes insistent sur les motivations individuelles tandis que les sociologues privilégient la formation du groupe.

Notes
333.

DEMEULENAERE, Pierre. Homo oeconomicus. Enquête sur la constitution d’un paradigme . PUF, coll. Sociologies, Paris, 1996, 288 p.

334.

CLAVAL, Paul. Géographie humaine et économique contemporaine . Op. cit., p. 236.

335.

Idem

336.

DI MEO, Guy (sous la dir.) Les territoires du quotidien. Op. cit., 207p.