6-3 L’évolution de la consommation des ménages

S'il s’avère impossible de distinguer dans les données de l’INSEE, le bal de la discothèque, on peut voir (tableau 7) évoluer le secteur selon les mêmes logiques. Chaque ménage y a dépensé en moyenne 157 francs en 1989, en recul depuis 85 (162 francs). Soit le même niveau que le cinéma (158 francs). Mais il convient de signaler que sur la période 78-89 “cette progression des dépenses (...) paraît être dûe plus à l'augmentation des prix (...) qu'à une augmentation effective des pratiques concernées” 361 .

Tableau 7. Evolution des dépenses culturelles et des sorties des ménages
BUDGET 1978-79 1984-85 1989
danse 175 (75) 194 (162) 157
cinéma 223 223 158
théâtre, concerts, musées, expositions 130 143 170 (4)
music-hall, chansons 55 60 82
total sorties culturelles 583 620 567
total culture 4946 5113 5786
total dépenses ménages 147 202 151 148 153 800

En francs 89. Transformation selon l’indice spécifique des prix. Entre parenthèse les valeurs en francs courants.
Source: O. Donnat, INSEE. Radioscopie du budget des ménages, INSEE

Si on transpose les valeurs de 1979 (75 francs deviennent 175) et 1985 (162 francs deviennent 194) en francs 89, on s’aperçoit que le recul est grave après un progrès au début des années 80 qui correspond à une hausse du nombre de séances (tableau 2).

Mais il s’agit de l’ensemble de la danse. En fait, les discothèques ont connu alors un recul marqué: “ce type de loisirs semble moins répondre aux attentes des jeunes” mais “comme les bals et repas dansants animés par des disc-jockeys, en baisse également362”. On peut donc supposer un recul plus net des discothèques dans la deuxième moitié des années 80. Le bal connaissait au même moment une stagnation que marquent les chiffres de perceptions assez stables de la SACEM jusqu’en 1990. C’est ensuite que le bal aurait connu le même recul.

Ainsi on assiste probablement, au-delà d’une simple évolution de modes, à un changement de comportements doublé d’un phénomène baisse des prix. Il est en effet probable que les deux phénomènes, sociologique et économique, sont liés.

Le travail de Donnat et l’enquête de l’INSEE de 89 amènent à trois constatations. La première est générale: elle incite à “relativiser ou remettre en cause un certain nombre d'idées reçues. L'explosion culturelle, par exemple, que la France aurait connue au début des années 80 apparaît pour une large part comme un mythe” 363 . En effet, la part du budget total des ménages qu’ils consacrent à la culture 364 (tableau 8) est en léger recul.

Tableau 8. Evolution de la part des différents types de sorties de 1978 à 1989
  Part en 1978-79 Part en 1984-85 Part en 1989
BUDGET du budget culturel des sorties du budget culturel des sorties du budget culturel des sorties
danse 3,54% 30,04% 3,80% 31,33% 2,71% 27,69%
cinéma 4,51% 38,27% 4,73% 35,98% 2,73% 27,87%
théâtre, concerts, musées, expo. 2,62% 22,22% 2,79 % 23,02% 2,94% 29,98%
music-hall, chansons 1,12% 9,47% 1,17% 9,67% 1,42% 14,46%
total des sorties culturelles (1) 11,79% 100% 12,13% 100% 9,80% 100%
total dépenses ménages 3,7 %   3,4 %   3,6 %  
(1) Part des sorties culturelles (total des sorties hors spectacles sportifs et entrées dans une piscine, une patinoire, un tennis...) dans l’ensemble des dépenses culturelles (à l’exception des dépenses de loisirs)

Sources: O. Donnat, INSEE. Radioscopie du budget des ménages, INSEE

La seconde constatation concerne les sorties de danse qui ne se distinguent guère de l’ensemble avec une baisse plus marquée, mais moindre que le cinéma. Il demeure que la danse représente près du tiers du budget sorties. A ce titre on peut vraiment parler de l’importance du secteur à défaut d’en garantir le dynamisme.

Enfin, il semble donc difficile d’invoquer seulement, comme le font de nombreux organisateurs, la guerre du Golfe et Vigipirate puis la récession économique pour expliquer cette crise dont le bal paraît aujourd’hui sortir; des modifications de comportement plus profondes sont probablement à l’oeuvre.

Mais ces tendances ne doivent pas masquer une extrême diversité des comportements. Il importe en effet de ne pas se laisser engourdir par ces moyennes très modérées. Les données utilisées ici introduisent deux biais:

Il s’agit tout d’abord de dépenses par ménage qui ne tiennent par compte du nombre de ses membres (2,8 en 1989) et de leur âge. Par comparaison les enquêtes de pratiques du Ministère de la Culture ne s’intéressent qu’au public âgé de plus de quinze ans et sont individualisées. On découvre ainsi que du fait de l’évolution de la composition des ménages, la part consacrées à la danse stagne quand globalement elle semblait régresser; elle passe de 57,8 francs (valeur 89) par personne et par an à presque 60 francs. La perception moyenne de la SACEM confirme cette évaluation: par habitant elle s’établit à 2,71 francs en 1995. Ce qui donne une dépense moyenne annuelle dans les bals et repas dansants légèrement supérieure à 55 francs.

En effet, le second point susceptible d’atténuer fortement la représentation de cette dépense tient au fait que seule une part mineure, même importante (30%), de la population adulte participe à cette dépense quand la moyenne est réalisée sur l’ensemble du corps social. Sans chercher à calculer une valeur précise qui serait très aléatoire, on en déduira que la consommation individuelle annuelle d’un danseur approche les 200 francs.

Mais il faut rester prudent: la pratique de plus de la moitié des participants (53% en 1989) se limite à une ou deux séances annuelles, soit nettement moins que la somme évoquée. A l’inverse les 26% des pratiquants qui vont au bal au moins cinq fois dans l’année (mais souvent plus), représentent les piliers de cette activité et dépensent sûrement une somme nettement supérieure: en 1992, les garçons d’un groupe de jeunes participants du sud de la Loire et du nord de l’Ardèche, questionnés de manière informelle affirmaient ainsi dépenser 500 francs par fin de semaine. Résultat sans surprise confirmé par un des organisateurs qui laisse supposer sur l’année un débours de 20 000 à 25 000 francs si la dépense est vraiment systématique tous les week-ends... pour beaucoup ce sera donc souvent la principale dépense, supérieure aux dépenses pour la voiture, les deux représentant les 2/3 du revenus disponible !

De même, évaluée à l’aide de la perception moyenne de la SACEM par habitant, les inégalités spatiales en matière de dépense sont importantes entre le maximum de Gap (une dépense de 160 francs par personne) et le minimum de Saint-Gratien (7 francs) 365 .

Ainsi, donc les 60 francs de dépense moyenne des français, les 200 francs des français participants au bal, s’inscrivent en réalité dans une fourchette comprise entre 0 et 20 000 francs: la diversité des comportements apparaît extrême.

Notes
361.

DONNAT, Olivier. Dépenses. Op. cit.

362.

MALLEK, Alain. Le rapport annuel 1994 d’activité de la SACEM. Sono magazine, novembre 1995, p. 229.

363.

Avant-propos d'Augustin Girard à l'ouvrage de Donnat.

364.

Pourtant ce mot est pris au sens le plus large possible: du bal à l’achat de la télévision et sa redevance en passant par les jeux vidéos et la presse.

365.

Ajaccio non compris.