6-6-2 Extrême concentration des grands bals prestigieux

De fait, certains bals très prestigieux, notamment ceux des grandes écoles, ont des budgets d'organisation qui approchent le million de francs. Quant à connaître le chiffre d'affaire, c'est un secret... Ils embauchent trois à cinq orchestres et proposent une véritable promenade dans plusieurs salles à leurs milliers d’invités, lesquels ont en fait payé fort cher leur participation (de 200 à plus de 1 000 francs, sans compter le prix des consommations, à l’avenant: une bouteille de champagne peut coûter 700 francs).

La région parisienne concentre une part importante de ces manifestations mais elle n’en n’a pas l’exclusivité: l’imitation ancienne de la capitale 376 renforcée par la décentralisation d’un certain nombre de grandes écoles leur a permis d’essaimer. Les villes d’eaux et les préfectures qui depuis le second Empire concentraient ces manifestations sont en recul très net devant les progrès des Ecoles.

Les bals gigantesques du Conservatoire des Arts et Métiers de Cluny, de l’école d’aviation militaire d’Istres ou ceux de la Croix Rouge Monégasque sont réputés depuis longtemps... Les institutions militaires, du moins leur état-major de région (c’est ainsi le cas à Lyon et Toulouse), et certaines associations puissantes (le Rotary Club d’une métropole par exemple, mais souvent encore la Croix Rouge) permettent à des villes de province de voir se dérouler des bals d’importance moindre mais non négligeable: un orchestre prestigieux, plusieurs centaines voire un millier d’invités...

On constate donc sans surprise que les perceptions sont nettement plus élevées dans les régions les plus riches, régions urbaines surtout. Le caractère urbain du bal n’a donc pas disparu: moins nombreux, les bals s’y sont concentrés, particulièrement les plus grands et les plus riches. Sur le long terme, cette importance de la danse et du bal semble même se renforcer: d’après les Comptes-rendus financiers de l’Assistance publique de Paris qui perçoit depuis le début du XIXe siècle le droit des pauvres sur les spectacles et loisirs de la ville on connaît bien l’importance du phénomène. En 1936, les recettes des bals et dancings de la capitale représentent 7% des sorties de loisirs des Parisiens 377 : on a vu qu’en 1985 cette part est passée à 14%. Et pourtant, si on considère l’évolution de la population parisienne durant cette période, la part des ouvriers, très pratiquants, a nettement régressé quand augmentait dans les mêmes proportions celle des personnes âgées, moins assidues.

Il est nécessaire d’introduire une nuance: tous les bals parisiens ne sont pas aussi gigantesques que ceux décrits plus hauts. Les associations de quartiers restent nombreuses à proposer des manifestations de plus petite taille. Mais ces bals sont insuffisants pour influer beaucoup sur les moyennes statistiques; surtout, même petits à l’échelle parisienne, ils sont vite plus grands et d’abord plus chers qu’ailleurs dans le pays.

Notes
376.

MARTIN-FUGIER, Anne. La vie élégante ou la formation du Tout-Paris. 1815-1848. Paris, Fayard, 1990, 265 p.

377.

GERBOD, Paul. Op. cit.