1-4 Le 15 août

L’autre temps fort pour l’organisation des bals publics, c’est en effet le week-end du 15 août: à peine moins nombreux que ceux du 14-juillet mais géographiquement beaucoup plus inégalement répartis. L’enquête auprès des orchestres révèle que c’est un autre temps fort majeur dans leur calendrier.

On les trouve d’abord dans les régions touristiques: placé au coeur des vacances, le 15 août marque l’apogée de l’été. Après un échec au début du siècle, le pouvoir politique n’a d’ailleurs jamais songé sérieusement à remettre en question le jour férié attaché au 15 août. On doit donc attirer les visiteurs sous peine de les voir partir chez le voisin, surtout sur les côtes où -hasard chanceux- la Vierge est aussi la patronne des gens de la mer: en 3 jours (1995), de Perpignan à la frontière (Cerbère) on pouvait ainsi dénombrer 28 bals sur 40 kilomètres. Cette chance est largement partagée par bon nombre de communes françaises 464 voire de régions; en carte 17, ces bals à vocation touristique expliquent la situation autour de Laruns voire de Salies de Béarn à St-Jean-Pieds-de-Port (30 bals sur 70 km en 1997).

Mais on les trouve aussi très nombreux ailleurs: au XIXe siècle, bon nombre de communes ont placé là leur fête, généralement fête patronale. Celle-ci, souvent cléricale à l’origine s’opposait alors au 14-juillet républicain.

C’est à l’origine une fête agraire qui coïncide généralement avec la fin des moissons. Il s’agit donc de ce que Muchenbled appelait les fêtes de fertilité 465 . Mais il montre que sous l’Ancien Régime, dans ce grand mouvement d'éradication des fêtes populaire et de prise de contrôle par les autorités, l’Eglise l’a très tôt investie 466 bien qu’en s’efforçant, sans succès, d’y interdire la danse 467 . C’était d’autant plus important que cela correspondait à un de ses objectifs majeurs: la promotion des fêtes mariales.

Cette imbrication entre le politique et le religieux va rester la principale caractéristique du 15 août alors qu’au XIXe siècle son poids se renforce. Elle reste une fête religieuse importante car les mouvements ultramontains poussent au culte marial 468 . Ils se plaisent à rappeler que la Vierge est la patronne de la France 469 .

C’est surtout le choix de cette date comme fête nationale par Napoléon Ier en 1806, puis sa reprise par Louis-Napoléon Bonaparte en 1852 qui en font un événement d’abord politique. Tous deux désirent recréer une fête du monarque (l’Assomption est aussi la saint Napoléon) en se conciliant les milieux catholiques.

“Par ailleurs les finalités se recoupent: consacrer le régime, forger une mentalité collective, sceller l'adhésion du peuple au gouvernement. En matière de divertissement, le Second Empire calque les fêtes nationales de la Monarchie de Juillet et la IIIe République plagie le Second Empire avec quelques variantes dues au contexte.” 470 . Napoléon III synthétise donc le rituel des éléments de la fête nationale par emprunt aux différentes fêtes royales de la première moitié du siècle: parade militaire/ cérémonie religieuse/ kermesse populaire l’après-midi/ feux/ bal en soirée.

Après 1880, reprenant ces formes ritualisées pour le 14-juillet, on se contentera de supprimer le Te Deum et la messe. Cette fête est conçue comme un plébiscite, mais malgré cette convergence vers le religieux, son succès, réel, restera ambigu: elle est adoptée comme une fête nationale et, à ce titre, populaire. Mais elle ne suscite pas d’adhésion forte à la personne de l’Empereur, et provoque la demi-hostilité du clergé 471 .

De fait, c’est par son aspect local que la fête s’est perpétuée: l’Empereur impose aux mairies une organisation précise, en fonction des ressources municipales certes, mais systématique partout 472 . La volonté d’en faire une fête populaire est manifeste: la matinée débute par des dons aux pauvres, suivent les cérémonies officielles où le peuple n’est que spectateur. Aussi, pour contrebalancer, “comme tout peuple heureux danse, les municipalités s’efforcent d’organiser un bal, lieu de retrouvailles des jeunes et des moins jeunes” 473 .

Ces caractères multiples, religieux, local et populaire très marqués sont restés: le 15 août est aujourd’hui d’abord une fête locale; l’effondrement de l’Empire puis le succès du 14-juillet lui ôtent rapidement tout caractère national et, officiellement du moins, politique. Il demeure cependant, aux débuts de la IIIe République, que des considérations politico-religieuses sont souvent présentes dans le désir de perpétuer ce jour 474 . Aujourd’hui encore, dans les villages en fête, la messe fréquente garde une solennité qui le montre bien: il n’est pas rare qu’elle ait lieu en plein air, parfois sonorisée avec les moyens techniques de l’orchestre qui se produira le soir. En Béarn (carte 17), un tiers des festivités cartographiées comportent une messe 475 , souvent qualifiée de solennelle et elle a lieu 8 fois en plein air: on quitte l’église pour accueillir un public plus nombreux mais aussi et surtout pour sanctifier le village.

Aux facteurs d’individualisation géographique déjà évoqués s’en ajoutent d’autres, d’origine historique. La reconquête catholique d’une région très marquée par la Réforme a été engagée en la consacrant à la Vierge bien que la toponymie ne le révèle guère 476 ; on comprend mieux le poids des fêtes du 15 août. Sur l’ensemble du Béarn les bals de 15 août sont nettement plus nombreux que ceux du 14-juillet: 94 contre 71 alors qu’au niveau national cette proportion est grossièrement inverse. Mais une étude plus fine permet de voir que les clivages ne correspondent pas à ces conversions: les traces en sont partiellement brouillées par d’autres éléments qui ont modifié le peuplement: la désertification des montagnes, le peuplement des régions industrialisées.

Seule perdure peut-être la frontière établie dès le IXe siècle 477 le long du Gave en amont de Pau, au sud de Morlaàs et la forte individualisation du Vic-Bilh, “centre et noyau de la nationalité béarnaise” 478 . Mais, trace la plus profonde, ce fut surtout pendant longtemps une frontière, une marche, dressée en face des comtés de Bigorre et d’Armagnac 479 . Ce secteur est aussi celui resté majoritairement catholique lors de la Réforme 480 : peut-on conclure alors, au-delà de la seule période révolutionnaire et de l’enracinement de la République à la persistance, pour d’autres raisons, d’une nécessité d’affirmer son identité menacée ? La coïncidence est troublante. Dans son analyse, Di Méo reprend le concept d’idéologie territoriale 481 , susceptible de traduire la convergence d’héritages historiques et d’une individualisation géographique en un discours et des comportements culturels spécifiques.

Il demeure donc, au même titre que le 14-juillet, que l’aspect religieux et politique de la fête du 15 août ne doit pas être évacué comme folklorisme sous prétexte d’apaisement des conflits: les clivages demeurent. Ces deux événements jumeaux et rivaux continuent de marquer la saison et les territoires. Cette concurrence n’est pas sans conséquence sur leur forme: ils ont beaucoup de points communs. Ce sont des bals toujours très populaire au rituel fixe: commémoration de la commune, kermesse et bal, souvent feu d’artifice, en représentent l’essentiel. Seule exception, emblématique, la messe pour l’Assomption.

Notes
464.

Selon La Poste et divers annuaires télématiques, près de 100 communes ont une nom qui commence par Sainte-Marie, sans compter celles où la mention termine le nom et les écarts inclus dans d’autres communes. Les plus nombreuses sont celles où aucune mention n’en est faite dans l’appellation.

465.

MUCHENBLED, R. Op. cit. p. 76

466.

MUCHENBLED, R. Op. cit. p. 216

467.

MUCHENBLED, R. Op. cit. p. 260

468.

ELLEINSTEIN, J. (sous la dir.) Histoire de la France contemporaine. Tome 3 (1835-1871), p.49. Editions sociales, 1979.

469.

Aujourd’hui, une des premières décisions des municipalités d’extrême-droite consiste à placer leur commune sous la protection de la vierge.

470.

SANSON, Rosemonde. Le 15 août: fête nationale du Second Empire. in CORBIN, A., GEROME, N. et TARTAKOWSKY, D. Les usages politiques des fêtes aux XIX e -XX e siècles. Actes du colloque organisé les 22 et 23 novembre 1990 à Paris, Publications de la Sorbonne, 1994, pp. 117-136.

471.

Idem

472.

Idem

473.

Idem

474.

Idem

475.

Aucune pour le 14-juillet.

476.

D’une manière générale, sur l’ensemble du département, on est surpris par la rareté des toponymes religieux, qu’il s’agisse de noms de saints comme d’autres lieux attestant une présence religieuse (Charité, Sauveté...). Cet indice, dans une étude comme la nôtre, montre donc ses limites.

477.

Coll. Inventaire topographique: Vic-Bilh, Morlaàs et Montanérès. Ministère de la Culture, Direction du Patrimoine, 1989.

478.

Idem

479.

DI MEO. Territoires. Op. cit. p. 93-94.

480.

LEONARD, Emile. Histoire du protestantisme. PUF, Paris, 1980, 438 p.

481.

DI MEO, G., GARAT, I. Le quartier dans la ville, idéologie territoriale ou espace vécu?Villes et Territoires, Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 1993.